jeudi 25 août 2011

Nouveaux conflits : quatre dimensions pour une compétition globale

Publié en juin 2011 dans la Revue Défense Nationale, n° 741, pp. 61-67, et sur Diploweb le 21 août 2001

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Nouveaux conflits : quatre dimensions pour une compétition globale


S
UR QUOI portent les conflits et sur quels espaces ont-ils lieu ? En avançant son hypothèse contestable du « choc des civilisations » en 1993 [1], Samuel Huntington avait au moins le mérite de formuler une proposition de réponse à cette double question. Après l’ère des conflits territoriaux entre voisins se disputant un espace litigieux, après celle du conflit idéologique que fut la guerre froide, marquée par un affrontement multidimensionnel entre capitalisme libéral et socialisme, nous serions passés à l’ère des conflits de civilisation. Ces conflits « ataviques », produits par la seule coexistence ou proximité de cultures incompatibles, auraient donc lieu principalement aux points de contacts entre ces dites « civilisations ». L’approche de Samuel Huntington était commode. Elle fournissait à l’observateur, désorienté par la disparition de la bipolarité, à la fois une nouvelle carte du monde (divisée en grands espaces civilisationnels), une vision prospective des conflits, et même un nouvel affrontement manichéen, mettant aux prises « The West » et « The rest », ce reste prenant plus particulièrement les traits d’une possible alliance « islamo-confucéenne » entre la Chine, d’une part et un monde musulman aux « frontières sanglantes », d’autre part. Mais comme on le sait désormais, l’hypothèse est trop lacunaire pour être opérante. notamment, elle n’élucide pas le concept de civilisation pourtant au cœur du travail de l’auteur [2] . Nous voilà revenus à la case départ.
D’autres auteurs, d’autres approches, à l’inverse de Samuel Huntington qui avait tenté de trouver une grille de lecture stricte aux conflits à venir, ont plaidé plutôt pour une absence de structure à la nouvelle anarchie mondiale, revenue au schéma hobbesien de la guerre de tous contre tous. Les théories de « l’individu totalitaire », acteur devenu central dans des conflits sans cartes, sans espace dédié, sans but politique précis et motivés par le seul désir de l’élimination de l’autre, connaissaient leur heure de gloire, avant d’être à nouveau démenties par les faits : les guerres en apparence les plus chaotiques avaient bien des fils directeurs, des logiques, des ressources, des entrepreneurs et des objectifs. On le vit dans les Balkans, on le vit au Rwanda, on le vit en RDC et ailleurs. La guerre classique, mettant en scène la décision d’État, la poursuite de la politique par d’autres moyens et le rapport de force militaire, n’avait pas disparu non plus, comme on le vit, entre autres, en Géorgie à l’été 2008.
Les espaces conflictuels, en réalité, s’étaient multipliés plutôt que de se réduire à une logique unique. Les nouveaux fronts, qui n’étaient plus nécessairement caractérisés par des signes physiques ni des présences militaires permanentes, étaient devenus mouvants et pouvaient prendre plusieurs dimensions. Au point que, comme l’avait déjà pressenti Georg Simmel au tournant du XXe siècle [3], le conflit allait apparaître non plus comme une pathologie sociale, mais comme un mode d’expression du social parmi d’autres, brouillant ainsi les frontières entre situations de conflit et de non-conflit. Bien plus tard, les situations libanaise, palestinienne, balkanique ou tchétchène, allaient en fournir autant d’exemples. Le conflit devenait, en quelque sorte, la poursuite du rapport de force social par d’autres moyens…
Les espaces du conflit allaient d’abord rester physiques : le territoire, la frontière n’ont pas disparu avec la fin de la guerre froide ni même avec la globalisation, censée pourtant abolir le temps et les distances. La proximité avec l’ennemi ou l’allié, le contrôle d’un espace, d’un passage ou d’un ensemble de ressources, allaient rester fondamentaux. Mais à cet espace physique allait se superposer un autre, moins facilement mesurable : celui de l’influence politique, que l’on exerce par la diplomatie, l’économie et même le culturel, sur un territoire mais aussi sur des acteurs. Ces acteurs eux-mêmes (entrepreneurs économiques ou identitaires, associatifs, religieux, médiatiques, légaux ou illégaux, simples individus…) [4], désormais émancipés des carcans étatiques, allaient être à la fois les initiateurs, les paramètres et les enjeux d’un troisième espace conflictuel : l’espace social. Celui-ci enfin, bien après la « révolution silencieuse » de Ronald Inglehart aujourd’hui diffusée à l’ensemble de la planète [5], est créateur d’inputs qui dépassent de loin les seuls enjeux matériels : c’est l’espace cette fois symbolique du conflit — le quatrième — qui met en scène les valeurs, les croyances, les normes, mais également les récits, les images, les perceptions, orchestrées par une profusion de storytelling concurrents [6]. Ces quatre espaces conflictuels (physique, politique, social et symbolique) se superposent, se chevauchent, se combinent bien sûr, peuvent être fongibles, transitifs… ou pas. C’est précisément ce qui fait, aujourd’hui, à la fois le brouillard de la guerre et la difficulté de la paix, en tout cas la complexité du conflit, ouvert ou latent.
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