mercredi 3 juin 2015

Les « moments » de la politique étrangère française



(lire la suite sur Global Brief (Toronto)
 
Une politique étrangère a souvent ses tournants, ou ses moments clefs qui déterminent un changement d’orientation, restructurent les croyances comme les organigrammes. La guerre contre l’Espagne en 1898, Pearl Harbour, le « Long telegram » de 1946, la guerre de Corée en 1950, le Vietnam, la révolution iranienne, la fin de la guerre froide et la guerre du Golfe qui l’a suivie, le 11 septembre 2001, sont autant d’épisodes qui ont ainsi profondément modifié la politique étrangère américaine (voir, à Montréal, les travaux de Charles-Philippe David sur la question). Qu’en est-il de la France ?

Le court XXe siècle (1914-89) aura d’abord été marqué par la terrible victoire de 1914, obtenue dans une saignée générale qui fut le suicide de l'Europe ; le traumatisme de 1940 ensuite, hantera les esprits, qui n’oublieront jamais, malgré la magie gaullienne in fine, que la France a failli disparaître ; de la crise de Suez en 1956, la France tira une analyse opposée à celle des britanniques : il faut avoir les moyens de résister aux pressions de l’allié américain, et ce sera le statut de puissance nucléaire ;  le gaullisme de gouvernement, enfin (1958-69), instaurera pour longtemps un socle de principes fait d’indépendance et d’une « grandeur » que Maurice Vaïsse a parfaitement analysée, et qui devait compenser la perte de l’Empire (La Grandeur, 2013).

Descendons dans le détail de l’après-guerre froide, après que l’effondrement de l’Union soviétique eut obligé de si nombreuses diplomaties à s’adapter à un monde post-bipolaire. La réunification allemande (1990), en faisant glisser le centre de gravité européen vers l’est, effaçait plus de trente ans d’un leadership français perçu, dans l’hexagone, comme naturel. La guerre du Golfe, en 1991, montra que la France devait adapter son outil militaire à une époque de projection, déclenchant une série de réformes qui aboutiront sous Jacques Chirac à la professionnalisation des armées. L’éclatement de la Yougoslavie, à partir de 1992, mit fin aux illusions d’une Europe puissance, et d’un brave nouveau monde onusien. Le Rwanda, après l’opération Turquoise de 1994, changea à tout jamais la politique africaine d’une France qui n’avait plus de « pré-carré », et se retrouvait sur le banc des accusés, dans un monde ultra-médiatisé. Les printemps arabes, en 2011, nous firent entrer dans l’ère « post-post coloniale » : ces sociétés du sud méditerranéen, jadis si familières au moins dans l’esprit des orientalistes, avaient désormais des populations composées aux trois quarts de citoyens de moins de 30 ans, qui se soulevaient sans crier gare, sans plus aucun référentiel post-colonial, et suscitant à Paris surprise et maladresses.

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