Article paru dans L'Orient Le Jour (Beyrouth)
Proche-Orient : Que peut faire la France?
Frédéric
Charillon (Professeur des Universités en science politique, UCA, Sciences Po,
ENA – ancien directeur de l’institut de recherche stratégique de l’école
militaire)
La France s'efforce, depuis longtemps, de
maintenir ou d'adapter son rôle au Moyen-Orient. Aujourd'hui ses grands
partenaires (Egypte, Arabie) inquiètent par leurs crispations internes ou leur
aventurisme extérieur. Le Liban, auquel elle tient tant, est dans la
tourmente. Face à cette situation, sa
diplomatie se heurte à plusieurs obstacles : un contexte international
défavorable, la difficulté à trouver des relais régionaux, la contradiction des
intérêts français eux-mêmes. Paris peut néanmoins aborder cette séquence
difficile avec une nouvelle méthode de dialogue.
Un contexte difficile
Les encouragements donnés par Washington aux
postures dures contre l'Iran favorisent la confrontation dans la région. Ni
l'état actuel de l'Union européenne, ni la longue prudence des émergents, ne contrebalancent
cette tendance. Et Moscou est suffisamment occupé par la Syrie pour se risquer
à des arbitrages ailleurs. Dès lors, la France, plus préoccupée que d'autres
par la situation libanaise et qui a souhaité y réagir vite, se trouve bien
seule pour mener une initiative.
Ayant établi une relation de confiance avec Riyad
(essentiellement avant la nomination du nouveau prince héritier), Paris soigne
également son dialogue avec Le Caire, et se refuse à donner des leçons à
quiconque, comme il l'a été rappelé lors de la visite à Paris du président
Sissi. La posture a ses mérites comme ses défauts, mais elle ne permet pas de
transcender le problème principal : aucune de ces capitales arabes n'est en
mesure d’être un hégémon consensuel dans la tourmente actuelle. L'initiative
appartient même désormais aux puissances non arabes, Israël, Iran, Turquie. Acteurs avec lesquels Paris entretient des
relations tendues, et dont l'intransigeance se prolonge (Israël), se renforce
(Turquie), ou fait l'objet de rapports de force internes (Iran).
La France doit enfin faire l’inventaire de ses
intérêts dans la région. L'affaire syrienne, depuis 2013, reste l'objet d'un
débat : en exigeant alors le départ de Bachar al-Assad, Paris a pris le risque
d'avoir moralement raison tout en se mettant diplomatiquement hors-jeu. Voir
s'effondrer les régimes de l'Arabie ou de l'Egypte serait une nouvelle
terrible, mais il est impossible de leur donner carte blanche pour jouer la
politique du pire. Soutenir le Liban et le protéger du chaos est un réflexe à
Paris : les événements libanais remontent plus haut et plus vite au sommet
de l'Etat que beaucoup d'événements internationaux, et la France ne souhaite ni
une mainmise étrangère sur le pays, ni un étouffement progressif interne qui ne
respecte pas la pluralité libanaise. Mais l'on se souvient du temps passé pour
rien à tenter de résoudre la crise institutionnelle en 2007.
L'indispensable
changement d'optique
A région bouleversée, méthode nouvelle. La
politique des blocs a vécu, l'unité arabe aussi, et les sociétés s'expriment de
plus en plus. Comment Paris peut-il se réinventer un rôle ? Les équipes
Macron, dans lesquelles on compte plusieurs connaisseurs de la zone, tablent
d'abord sur le dialogue avec tous les acteurs, en l’élargissant même à de
nouveaux, quels que soient les points de désaccord ; ensuite sur le
multilatéralisme ; enfin sur la réaffirmation des principes.
Cette méthode (esquissée par le Président devant
les Ambassadeurs français à Paris, où les Nations Unies à New York) peut-elle
s’appliquer au Proche Orient ? Le dialogue à tout prix, on l’a vu dans la
réception de Sissi à Paris, comme d’ailleurs avec Trump ou Poutine, consiste à
chercher les points de convergence en dépit de tensions réelles. Le
multilatéralisme, lui, pourrait peut prendre la forme de conférences
internationales aux formats ad hoc, sur la Syrie ou pourquoi pas sur le Liban, qui
mettront l'accent sur l’avenir des peuples plutôt que sur les compétitions
étatiques. La réaffirmation des principes enfin, consiste à édicter la position
et les lignes rouges de la France, mais sans en faire un casus belli.
Un enseignement s’impose, sur la période
récente : laisser les capitales régionales dériver vers la manière forte pour
ménager leur susceptibilité, n'a renforcé ni la stabilité régionale, ni
l'influence française. La France teste donc sa nouvelle méthode. Elle maintient
le lien historique avec Le Caire ou Riyad, mais mise aussi sur les Emirats,
acteur montant. Emmanuel Macron, puis son ministre des Affaires Etrangères (ce
dernier fort d’une relation de confiance ancienne avec l’Arabie) rendent visite
au Prince héritier saoudien pour parler du Liban, mais invitent dans la foulée
Saad Hariri à Paris, comme pour souligner que la souveraineté libanaise n’est
pas négociable.
Pour peser davantage, la France doit sortir des
dilemmes traditionnels: Doha ou Riyad, Sissi ou pas Sissi, Bachar ou Daech, le
Hezbollah ou Hariri, etc. D’autant qu’ainsi formulés, c’est le Proche-Orient
qui en est la première victime. Surtout, elle peut tenter de prendre l’initiative,
en y associant les institutions internationales, de nouveaux acteurs étatiques,
et les nouveaux acteurs sociétaux (jeunes, intellectuels, femmes). La réussite
n’est jamais garantie au Proche-Orient, mais il est temps d’essayer ce qui ne
l’a pas encore été.
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