lundi 20 novembre 2017

Comment Paris peut-il se réinventer un rôle au Proche-Orient ?

Article paru dans L'Orient Le Jour (Beyrouth)


Proche-Orient : Que peut faire la France?


Frédéric Charillon (Professeur des Universités en science politique, UCA, Sciences Po, ENA – ancien directeur de l’institut de recherche stratégique de l’école militaire)


La France s'efforce, depuis longtemps, de maintenir ou d'adapter son rôle au Moyen-Orient. Aujourd'hui ses grands partenaires (Egypte, Arabie) inquiètent par leurs crispations internes ou leur aventurisme extérieur. Le Liban, auquel elle tient tant, est dans la tourmente.  Face à cette situation, sa diplomatie se heurte à plusieurs obstacles : un contexte international défavorable, la difficulté à trouver des relais régionaux, la contradiction des intérêts français eux-mêmes. Paris peut néanmoins aborder cette séquence difficile avec une nouvelle méthode de dialogue.


Un contexte difficile

Les encouragements donnés par Washington aux postures dures contre l'Iran favorisent la confrontation dans la région. Ni l'état actuel de l'Union européenne, ni la longue prudence des émergents, ne contrebalancent cette tendance. Et Moscou est suffisamment occupé par la Syrie pour se risquer à des arbitrages ailleurs. Dès lors, la France, plus préoccupée que d'autres par la situation libanaise et qui a souhaité y réagir vite, se trouve bien seule pour mener une initiative.

Ayant établi une relation de confiance avec Riyad (essentiellement avant la nomination du nouveau prince héritier), Paris soigne également son dialogue avec Le Caire, et se refuse à donner des leçons à quiconque, comme il l'a été rappelé lors de la visite à Paris du président Sissi. La posture a ses mérites comme ses défauts, mais elle ne permet pas de transcender le problème principal : aucune de ces capitales arabes n'est en mesure d’être un hégémon consensuel dans la tourmente actuelle. L'initiative appartient même désormais aux puissances non arabes, Israël, Iran, Turquie.  Acteurs avec lesquels Paris entretient des relations tendues, et dont l'intransigeance se prolonge (Israël), se renforce (Turquie), ou fait l'objet de rapports de force internes (Iran).

La France doit enfin faire l’inventaire de ses intérêts dans la région. L'affaire syrienne, depuis 2013, reste l'objet d'un débat : en exigeant alors le départ de Bachar al-Assad, Paris a pris le risque d'avoir moralement raison tout en se mettant diplomatiquement hors-jeu. Voir s'effondrer les régimes de l'Arabie ou de l'Egypte serait une nouvelle terrible, mais il est impossible de leur donner carte blanche pour jouer la politique du pire. Soutenir le Liban et le protéger du chaos est un réflexe à Paris : les événements libanais remontent plus haut et plus vite au sommet de l'Etat que beaucoup d'événements internationaux, et la France ne souhaite ni une mainmise étrangère sur le pays, ni un étouffement progressif interne qui ne respecte pas la pluralité libanaise. Mais l'on se souvient du temps passé pour rien à tenter de résoudre la crise institutionnelle en 2007.


L'indispensable changement d'optique

A région bouleversée, méthode nouvelle. La politique des blocs a vécu, l'unité arabe aussi, et les sociétés s'expriment de plus en plus. Comment Paris peut-il se réinventer un rôle ? Les équipes Macron, dans lesquelles on compte plusieurs connaisseurs de la zone, tablent d'abord sur le dialogue avec tous les acteurs, en l’élargissant même à de nouveaux, quels que soient les points de désaccord ; ensuite sur le multilatéralisme ; enfin sur la réaffirmation des principes.

Cette méthode (esquissée par le Président devant les Ambassadeurs français à Paris, où les Nations Unies à New York) peut-elle s’appliquer au Proche Orient ? Le dialogue à tout prix, on l’a vu dans la réception de Sissi à Paris, comme d’ailleurs avec Trump ou Poutine, consiste à chercher les points de convergence en dépit de tensions réelles. Le multilatéralisme, lui, pourrait peut prendre la forme de conférences internationales aux formats ad hoc, sur la Syrie ou pourquoi pas sur le Liban, qui mettront l'accent sur l’avenir des peuples plutôt que sur les compétitions étatiques. La réaffirmation des principes enfin, consiste à édicter la position et les lignes rouges de la France, mais sans en faire un casus belli.

Un enseignement s’impose, sur la période récente : laisser les capitales régionales dériver vers la manière forte pour ménager leur susceptibilité, n'a renforcé ni la stabilité régionale, ni l'influence française. La France teste donc sa nouvelle méthode. Elle maintient le lien historique avec Le Caire ou Riyad, mais mise aussi sur les Emirats, acteur montant. Emmanuel Macron, puis son ministre des Affaires Etrangères (ce dernier fort d’une relation de confiance ancienne avec l’Arabie) rendent visite au Prince héritier saoudien pour parler du Liban, mais invitent dans la foulée Saad Hariri à Paris, comme pour souligner que la souveraineté libanaise n’est pas négociable.

Pour peser davantage, la France doit sortir des dilemmes traditionnels: Doha ou Riyad, Sissi ou pas Sissi, Bachar ou Daech, le Hezbollah ou Hariri, etc. D’autant qu’ainsi formulés, c’est le Proche-Orient qui en est la première victime. Surtout, elle peut tenter de prendre l’initiative, en y associant les institutions internationales, de nouveaux acteurs étatiques, et les nouveaux acteurs sociétaux (jeunes, intellectuels, femmes). La réussite n’est jamais garantie au Proche-Orient, mais il est temps d’essayer ce qui ne l’a pas encore été.







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