Dans son ouvrage éponyme daté de 2016, Dominique Moïsi s’attaquait
à la Géopolitique des séries avec le
regard de l’internationaliste. Il voyait, dans ce type de production désormais
dominant, le reflet de nos peurs contemporaines, établissant d’ailleurs un
parallèle entre le succès croissant de ces séries, et l’après 11 septembre 2001
(sans y voir pour autant un rapport de cause à effet, bien entendu). Les titres
retenus par lui, dans cette étude qui en réalité prolongeait son ouvrage
antérieur, Géopolitique des émotions
(2008), étaient alors Downton Abbey,
Occupied, Game of Thrones, Homeland, House of Cards.
Les analyses des séries sont nombreuses, mais celle de
Dominique Moïsi, en français, innove à bien des égards et mérite d’être prolongée
ou mise à jour par quelques réflexions, et étendue à d’autres titres, qui ont
fleuri depuis (ou dont le succès s’est confirmé).
En premier lieu, les séries ne datent naturellement pas
des années 2000, mais Moïsi a raison de voir dans ce moment un tournant dans la
globalisation de leur succès, même si antérieurement, le Prisonnier, Les Envahisseurs,
Au-delà du réel, et autres X-Files
(diffusé pour la première fois en 1993), mériteraient
bien des commentaires sur le plan de la peur, du rapport à l’Etat, et même du
rapport à l’autre.
Ensuite, il faudrait naturellement poursuivre ce travail
sur des succès ultérieurs, desquels on tirerait plusieurs observations, en particulier
sur la plus grande variété des pays producteurs, sur la fin du monopole
anglo-saxon, et surtout, sur le statut de ces séries comme reflet d’une société
ou comme instrument d’influence. Le bureau
des légendes (France), Fauda (Israël),
Bürü ou Diriliş Ertuğrul (Turquie), Adaptatsia
(ou Adaptation, Russie), en témoignent. Ces productions pourraient par ailleurs
faire l’objet d’une analyse comparée, et être mises en parallèle avec les romans
d’espionnage ou thriller, parmi ceux
qui, chaque année en différents endroits atteignent des niveaux de vente
importants, avec des auteurs récurrents (Daniel Silva et son agent israélien Gabriel
Allon, ou d’autres fictions d’excellente facture venues notamment d’Asie).
Dans les régimes autoritaires, on note le rattrapage
croissant des fictions politiques par l’Etat : celles-ci mettent en
scène l’invulnérabilité d’une culture donnée, sa résurgence, à travers elle l’action
bénéfique menée par ses autorités actuelles, le tout destiné à un public ciblé,
non seulement domestique mais choisi à l’extérieur, comme les sociétés arabes
pour les fictions turques. Les fictions produites dans les démocraties
libérales opèrent différemment, qui développent en apparence une critique sans
concession du système bureaucratique de leur propre pays, tout en avalisant la
réalité de la menace à laquelle les services font face. Ainsi, si Homeland brosse un sombre tableau des
méandres américains, la menace terroriste est bien réelle. Idem dans la série
israélienne Fauda, où les
dysfonctionnements de l’Etat hébreu sont – en partie – exposés, mais pour mieux
confirmer la menace du Hamas, entre autres.
Les séries touchent désormais un large public, et cela
intéresse donc les Etats. Comme du temps de la guerre froide, le vecteur populaire
le plus répandu est susceptible d’être instrumentalisé. Il doit donc être aussi
étudié à la lumière de cette probabilité.
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