Pernille RIEKER, French Foreign Policy in a Changing World: Practising Grandeur. Palgrave MacMillan, Londres, 2017
Il n'est jamais facile
d'écrire avec justesse sur la politique étrangère d'un autre pays. A cet égard
il convient de saluer la publication du livre de Pernille Rieker sur la
politique étrangère de la France, qui se distingue dans cet exercice pour au
moins trois raisons: l'auteur ne sur-théorise pas, et délaisse avec raison ce
terrible appauvrissement académique qui consiste à tout réduire à la question
agent-structure ; elle évite également les clichés habituels sur le gaullisme,
l'ENA, etc., qui marquent encore trop souvent la littérature scientifique
anglo-saxonne sur la France ; enfin elle propose un tour d'horizon certes non
exhaustif mais pertinent, des grands dossiers de notre diplomatie (Afrique,
Russie, Etats-Unis, OTAN, terrorisme...). Si un chapitre à part entière sur
l'Europe eut été utile, on ne peut s'empêcher de penser que son absence
(l'ouvrage a été achevé avant l'élection d'Emmanuel Macron) est significative.
Idem sur l'Asie ou l'Amérique du Sud, rarement présentées à Paris comme des
priorités. Tout au plus pourrait-on souhaiter une perspective plus assumée sur les
approches de la Méditerrannée et du Proche-Orient (les cas libyen ou syrien sont
néanmoins bel et bien discutés).
Mais l'essentiel est
ailleurs. Pernille Rieker, dont les travaux au sein du Norvegian Institute of International Affairs font référence, pose des questions justes : Paris
a-il plus de leviers ou au contraire
moins de "grandeur", dans un monde globalisé et régionalisé?
Comment la France peut-elle continuer à
influencer le monde, plaider pour son exceptionnalisme, compte tenu de
ressources contraintes qui l'obligent souvent à boxer au-dessus de sa catégorie
? Réponse: par la promotion des valeurs liées à son universalisme, ou perçues
comme telles. Elle peut compter pour cela sur plusieurs atouts: un rôle global
qui lui confère une légitimité historique, des institutions et une élite
administrative fortes, une présence dans les principales institutions
internationales, des instruments de projection qui participent aussi bien du
hard power (l'outil militaire) que du soft power (diplomatie culturelle).
En opposant la puissance
matérielle à la puissance symbolique, et en croyant davantage à la seconde qu'à
la première, la chercheuse lance un vrai débat, qui rejoint celui sur lesintérêts opposés aux valeurs dans l'action extérieure. On pourrait lui objecter
que c'est le discours français qui était en panne, plutôt que l'outil matériel
(comme l'ont montré les récentes opérations militaires, au Mali, en Centrafrique,
en Libye...). C'est le message symbolique qui n'était plus perçu, alors même
que la puissance structurelle demeure (l'image de la France dans le Sud,
notamment s'est considérablement brouillée dans les dernières années). On peut aussi estimer que puissance symbolique
et puissance matérielle se rejoignent dans la pratique concrète, car une
diplomatie d'influence digne de ce nom a un coût, et croire qu'on peut la
décréter "à moyens constants" est une dangereuse illusion. Mais
l'important était de briser le tabou et de poser la question.
En liant le destin de la
France comme puissance d'influence à sa capacité à réinventer l'universalisme,
Pernille Rieker ouvre encore un chantier important, valable également
d'ailleurs pour le Royaume-Uni, l'Allemagne, même les Etats-Unis, et le monde
occidental en général.
Après plusieurs discours de
politique étrangère du nouveau président, et les premières indications sur la
tonalité de ce que pourrait être un "macronisme de politique
étrangère", les questions posées dans l'ouvrage apparaissent plus
pertinentes encore. Comme si la nouvelle équipe au pouvoir, elle aussi, se
posait la question de la pérennité de l'influence française, avec déjà quelques
éléments de réponse, proches des hypothèses de Pernille Rieker. La réinvention
du message universaliste est un souci visible à Paris, qui semble passer par la
promotion du multilatéralisme ("multilateralism is the new
universalism", pour reprendre une structure de phrase à la mode). La
reconquête de l'influence telle que proposée se fait en trois temps: 1- dégager
des marges de manœuvre budgétaires et montrer une crédibilité sérieuse dans la
remise en ordre de la gestion intérieure ; 2- relancer le projet européen,
meilleure garantie de notre rôle dans le monde ; 3- enfin, à partir de ce
socle, proposer ensuite un agenda international. On retrouve bien la
dialectique entre puissance symbolique et puissance matérielle, discutée dans
le livre. Mais on retrouve aussi les mises en garde sous-jacentes qu'implique
ce travail: le système international, comme régional, est bien là, avec ses
acteurs et ses contraintes. La France ne pourra, seule, réinventer le
multilatéralisme ni imposer le dialogue, si elle n'est pas suivie par d'autres
sur ce terrain. Un Donald Trump à la Maison Blanche, une Angela Merkel
maintenue mais affaiblie, une Grande-Bretagne qui doute, une Europe orientale
qui se crispe, ne seront pas pour aider.
La France "compte
toujours", pour répondre à une question posée jadis par un ouvrage antérieur. Et Pernille Rieker le prouve, en s'y intéressant au point de lui
consacrer un livre. Mais la "pratique de la grandeur" devra suivre
une voie parsemée d'embûches.
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