Comme un rapport de fin de mission, l’ancien ministre des Affaires
Etragères Laurent Fabius a publié un bilan (naturellement sous un prisme
personnel) de son action à la tête du quai d’Orsay, peu de temps après son
départ du Ministère (pour prendre la présidence du Conseil constitutionnel). Ce
type d’exercice, on le sait, participe toujours d’une figure imposée qui
empêche de le prendre totalement pour argent comptant, mais offre toujours également
des enseignements précieux.
D’abord sur les dossiers, les moments, que son auteur a
choisi de mettre en avant. Laurent Fabius commence par l’accord de Paris sur le
climat (COP21 de fin 2015), dont on connaît les difficultés depuis l’élection
de Donald Trump, mais que l’ancien ministre et Premier ministre considère, sans
sous-estimer les obstacles à venir, comme le moment fort de son action au
quai. L’accord sur le nucléaire iranien et
la tragédie syrienne sont les deux autres grands volets abordés ensuite, sur
lesquels l’auteur ne renie rien et assume ses positions, critiquées comme on le
sait : a-t-il été trop intransigeant, donnant l’impression de s’opposer à
une solution sur l’Iran (hypothéquant par-là même l’avenir des relations avec
ce pays), et marginalisant la France dans la crise syrienne à force de réclamer
avant tout le départ de Bachar al-Assad ? Viennent ensuite les questions européennes,
sur lesquelles Laurent Fabius pressent la nécessité de changer d’approche, face
à la crise à la fois morale et politique de l’Union. Un dernier chapitre sur l’administration
du ministère vient rappeler utilement les réformes engagées (en particulier une
plus grande prise en compte de la préoccupation économique et commerciale), et celles
qui restent à accomplir pour moderniser notre diplomatie. Et la conclusion
revient sur l’indépendance de la France.
On retient de ce livre son ton souvent direct, ponctué d’anecdotes
parfois cruelles pour certaines personnalités internationales, mais
pédagogique, et en cela utile puisqu’il récapitule les dossiers, leurs points
de blocage, leur dénouement, et les actions qui y ont conduit. On retient également
la propension de Laurent Fabius à ramener plusieurs enjeux à une confrontation
entre Washington et Moscou. Les « lignes rouges » syriennes et le
recul de Barack Obama n’ont pas été digérés, mais les sirènes poutiniennes ne
sauraient y constituer une alternative. Sur chacun des deux chefs d’Etat, le
chef de la diplomatie française consacre de longs passages, et y revient encore
dans sa conclusion. Prisme trop daté de la bipolarité ? C’est pourtant
bien autour des ces deux figures que se sont recomposées les relations
internationales dans ces années, au point même de faire sortir la France du jeu
syrien, dans lequel elle avait initialement cherché à être structurante. Mais
Laurent Fabius ne regrette rien. Le face-à-face entre l’Etat islamique et le
régime syrien est l’œuvre machiavélique de ce dernier, véritable fossoyeur du
pays et de sa population. Les Etats-Unis, en refusant de frapper à l’été 2013,
ont laissé le champ libre à la Russie, qui en a tiré la leçon de la faiblesse occidentale,
leçon dont on reparlera en Ukraine. Donc la position française était juste.
Même si elle a conduit à la marginalisation, pourrait-on demander ? La
cohérence de la posture et la force de son sous-bassement éthique semblent
assumées ici, même si à court terme la percée politique ne fut pas au rendez-vous.
Mitterrandien s’il en est, Laurent Fabius semble jouer pour l’Histoire :
avoir eu moralement raison, avoir entamé la modernisation, comptent plus que d’éventuels
succès de court terme. L’inconvénient, comme on le devine, réside dans le fait
que là se trouve précisément le reproche souvent adressé à la diplomatie française
(par
exemple par Charles Cogan, dans son French
Negociating Behaviour : Dealing With La Grande Nation), à savoir
privilégier la posture et le processus plutôt que le résultat.
Laurent Fabius laisse ici de côté d’autres débats : concepts
de gaullo-mitterrandisme ou de néo-conservatisme, de grandeur ou de déclin, s’effacent
ici devant l’impératif de gestion, raconté de l’intérieur même si c’est avec
recul. D’autres grands moments du quinquennat sont moins développés, comme s’ils
étaient secondaires par rapport aux trois grands piliers retenus (COP 21,
Iran, Syrie), moins marqués du sceau de l’auteur lui-même (comme la conférence
sur le Proche-Orient), ou
davantage gérés par d’autres (le Mali). Mais au final le témoignage est
précieux, et l’on souhaiterait qu’il fasse école.
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