Publié dans TheConversation
Au risque d’être rébarbatif, nous avancerons que ce qui
vient de se passer au Canada s’annonce fort instructif du point de vue
théorique pour l’analyse des relations internationales.
Donald Trump, par son attitude, n’a fait que pousser une
fois plus à l’extrême une posture déjà existante aux États-Unis depuis
longtemps, assimilable à la tradition jacksonnienne, et rétive à toute
contrainte liée à des engagements extérieurs qui pourraient nuire à la
sécurité, à l’identité, aux intérêts des « vrais » Américains. Simplement, il
le fait au XXIe siècle (Andrew Jackson était président de 1829 à 1837), dans un
monde de globalisation et d’interdépendance complexe, où chacun est lié à tous
les autres par les échanges ou l’information en temps réel.
Trois questions intéressantes se posent aujourd’hui.
- Jusqu’à quand l’Alliance avec les Européens va-t-elle tenir
?
- Jusqu’où le système politique américain va-t-il permettre à
son président de se comporter de la sorte?
- Trump peut-il faire triompher sa logique et garder une
majorité pour mettre fin à soixante-dix ans de Grand Strategy américaine ?
Le sens des alliances
Y a-t-il encore une alliance entre les États-Unis et leurs
partenaires de l’OTAN, ou leurs interlocuteurs privilégiés comme le Japon ? Les
camouflets s’accumulent, les insultes pleuvent, et la bataille commerciale qui
s’annonce montre qu’il s’agit de divergences d’intérêts réels, non d’une simple
incompatibilité d’humeur.
Le fait d’être alliés sur le plan militaire mais concurrents
sur le plan économique est classique entre l’Amérique, l’Europe et le Japon.
Mais l’atmosphère à la Maison Blanche laisse penser que, cette fois, son
locataire considère globalement ses partenaires comme des handicaps, non plus comme
des atouts.
Cette remise en cause du concept même d’alliance trouve
aujourd’hui d’autres expressions ailleurs, qui cette fois ne doivent rien à
Trump. L’évolution interne de la Turquie, son attitude en Syrie, et même à
certains égards la gestion de sa diaspora en Europe, deviennent difficilement
compatible avec son adhésion à l’OTAN, et sa candidature (certes de plus en
plus rhétorique) à l’UE.
Photo de famille du G7 au Canada, le 9 juin 2018. Leon
Neal/AFP
Plus loin encore (on serait tenté de dire « en face »), dans
l’organisation de coopération de Shanghai, l’arrivée probable de l’Iran comme
membre à part entière, l’entrée de l’Inde et du Pakistan en 2017, empêchent de
faire de ce groupe une entité homogène, sorte de « contre-OTAN ».
Trump exacerbe certes la tendance par son style, mais c’est
plus généralement la question de la viabilité même d’alliances stables et
pérennes qui est posée désormais dans le monde des années 2018 et suivantes.
Que va faire l’État profond ?
Si l’on retient les leçons de Robert Putnam et de ses
collègues (Peter B. Evans, Harold Karan Jacobson), dans leur ouvrage célèbre de
1993 (Double-Edged Diplomacy), on se souvient que la politique étrangère,
peut-être plus encore aux États-Unis, est façonnée au moins autant par des rapports
de force internes que par les événements internationaux auxquels il s’agit de
répondre.
La question est donc : que pense le système américain, avec
ses animateurs, ses contre-pouvoirs, ses décideurs, son « État profond », ses
analystes, ses groupes d’intérêt, d’un Président qui affaiblit chaque jour la
parole des États-Unis ? Un président qui effraie ses alliés les plus
importants, insulte ses voisins, remet en cause les traités signés, y compris
ceux qui étaient jugés favorables aux intérêts américains. Qui s’exprime
essentiellement par tweets. Qui, en plein bras de fer intérieur sur ses liens
supposés avec une Russie considérée comme extrêmement agressive sur le plan du
renseignement et de la déstabilisation, se permet le luxe de proposer la réintégration
de Moscou dans le G7-G8, essuyant par-là même sur ce point une rebuffade des
Européens ?
Sans compter que le découplage entre l’Europe et l’Amérique,
auquel Trump travaille régulièrement, fait de la Russie le premier bénéficiaire
de ces rodomontades. Même si, en réalité, Trump et Poutine sont en train de
devenir à eux deux les meilleurs impresarios d’une vision stratégique
ouest-européenne commune, soudain ressuscitée, et à laquelle s’adjoint le
Canada.
Cela est-il encore acceptable par les gardiens du dogme ?
S’ils sont divisés, quel est le rapport de force entre les camps en présence ?
Si leur patience a des limites, où se situe le point de rupture, quelles sont
les lignes rouges ? Et qu’envisagent-ils de faire si celles-ci sont franchies ?
Il y a là, du point de vue de l’analyse du système politique américain, des
défis passionnants à venir.
Et si Trump gagnait ?
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