Sur la politique étrangère de la France : Hubert Coudurier, Frédéric Bozo, Marie-Christine Kessler
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H. COUDURIER,
Et les masques sont tombés. Les coulisses du quinquennat, Robert
Lafont, Paris, 2012.
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F. BOZO, La politique étrangère de la France depuis
1945, Flammarion, Paris, 2012
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M-Ch.
KESSLER, Les ambassadeurs, Presses de
Sciences Po, Paris, 2012
Parmi les ouvrages
consacrés en 2012 à l’action extérieure de la France : la chronique
sarkozienne d’Hubert Coudurier, le panorama historique de Frédéric Bozo, et
l’essai de Marie-Christine Kessler, entre analyse de politique publique,
rétrospective historique, et sociologie de la diplomatie.
Directeur de
l’information du Télégramme de Brest,
Hubert Coudurier nous avait offert en 1998 Le
monde selon Chirac, qui constituait alors l’un des rares travaux sur le
début du premier mandat chiraquien, consacré à la politique étrangère. A la fin
du mandat de Nicolas Sarkozy, il récidive avec Et les masques sont tombés, sous la forme de courtes saynètes
mettant en scène l’ancien président face aux défis du monde. Si le rôle de la France
en Côte d’Ivoire et en Libye, en 2011, est qualifié de « doublé » qui
redonne une influence au pays dans son environnement stratégique, l’auteur ne
ménage pas pour autant le sixième président de la Ve République, moins encore son premier ministre des
Affaires Etrangères Bernard Kouchner. Plus porté vers l’anecdote de politique
intérieure que sur l’analyse internationale, le récit se veut davantage la chronique
d’un quinquennat, mais conclue néanmoins sur la difficile compatibilité entre
la grandeur des ambitions et la faiblesse des moyens.
Frédéric Bozo embrasse
quant à lui une période bien plus longue, qui va de 1945 au mandat de Nicolas
Sarkozy. Historien réputé, spécialiste notamment de la relation entretenue par
la France avec l’Alliance atlantique, l’auteur propose à la fois un panorama
synthétique fort utile qui peut servir de manuel, d’analyse rétrospective stimulante,
et d’outil de recherche, notamment à travers sa bibliographie en fin de texte.
En cinq mouvements et dix chapitres, La politique
étrangère de la France depuis 1945 opère
un découpage chronologique qui voit se succéder le temps des frustrations (1945-58),
la contestation du statu quo [bipolaire] (1958-69), la gestion de l’héritage [gaullien]
(1969-81), la fin de la guerre froide (1981-95), et la France face à la mondialisation
(1995-2011). L’auteur est bienveillant avec les différents présidents,
cherchant davantage à comprendre qu’à accuser. Ainsi la passivité de François
Mitterrand, voire sa lutte pour maintenir le statu quo face aux bouleversements
européens des années 1989-91, selon lui, est un mythe, même s’il admet « le
choix de la prudence ». De la même manière que les accusations selon
lesquelles le président socialiste aurait eu une attitude pro-serbe et favorable
au maintien de la Yougoslavie, relèvent selon Frédéric Bozo de la « légende
tenace ». Il voit en revanche davantage de limites au volontarisme
chiraquien, et à ses tentatives de peser sur le cours du monde, des Balkans à
la guerre du Golfe de 2003. Enfin, il voit – entre autres choses – plus de
continuité que de rupture dans la politique étrangère menée par Nicolas Sarkozy,
où la promotion du G20, par exemple, s’inscrit finalement dans la suite d’une politique
chiraquienne de reconnaissance des nouvelles puissances émergentes dans un monde
multipolaire.
Exercice très différent pour Marie-Christine Kessler, qui fait autorité comme spécialiste de politique publique. Déjà auteur en 1999 de La politique étrangère de la France. Acteurs et processus, elle emprunte cette fois-ci davantage à l’histoire et à la sociologie, pour dresser un portrait des ambassadeurs finalement en forme d’hommage, là où des ouvrages journalistiques avaient plutôt cherché, récemment, à les discréditer. D’anecdotes en portraits fouillés, elle remonte aux origines de la diplomatie, nous fait revivre les mémoires des grands ambassadeurs (Pierre de Margerie, les frères Cambon, François Charles-Roux, Paul Morand, bien sûr André François-Poncet, et bien d’autres), en prenant soin de ne pas gêner ceux qui sont toujours aux affaires. Ce travail, fruit d’une longue enquête, ne néglige presque rien. Marie-Christine Kessler excelle là où on l’attend : sur les dossiers que peu de chercheurs maîtrisent, à la fois techniques (culturel, développement, budget, coordination des services, commissions mixtes…) et administratifs (la carrière, la diplomatie comme élite, comme grand corps de l'Etat…). Mais elle excelle aussi là où l’attendait moins, sur ce tableau de la diplomatie comme métier, comme image (y compris dans la littérature), comme trajectoire historique, comme culture… On mesure, en lisant l’ouvrage, l’ampleur d’une enquête longue et qui fut fondée sur de nombreux entretiens. La bibliographie mérite une mention particulière, en ce qu’elle offre pratiquement une somme définitive – en 2012 – sur la question. Cette sociologie historique des ambassadeurs manquait, puisque peu d’ouvrages étaient consacrés à cette question en France (on se souvient néanmoins du Diplomate : une sociologie des ambassadeurs, par Mérédith Kingston de Leusse, en 1997, pionnier mais bien moins ample que ce dernier travail). Il fallait la trousse à outil expérimentée et multiple de Marie-Christine Kessler, avec cet éventail qui va des de la science administrative des grands corps de l’Etat jusqu’à la connaissance personnelle des acteurs en passant pas l’érudition historique, pour offrir ce livre.