dimanche 30 avril 2017

Sécurité : quels défis pour la France en 2017 ?

Illustration du dossier
Dossier du CERI - Politique étrangère de la France : quels défis pour le prochain président de la République ?

Les années 2015-2017 ont été pour la France des « années terribles » sur le plan de la sécurité. Sécurité intérieure d’abord, puisque le pays a été touché par de nombreux attentats en 2015 et 2016, de l’attaque contre Charlie Hebdo et de l’hypermarché cacher (7 et 9 janvier 2015) à l’assassinat du Père Jacques Hamel dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (26 juillet 2016), en passant par l’attentat contre le Bataclan et le Stade de France (13 novembre 2015) et celui de Nice (14 juillet 2016).
Sécurité européenne ensuite puisque plusieurs pays de l'Union ont été touchés par le terrorisme. L’environnement de cette dernière n’est plus aussi sûr qu’il l’était. Au Sud, les soulèvements arabes ont provoqué l’effondrement de plusieurs Etats (Libye, Syrie), une guerre civile internationalisée (Syrie), une forte instabilité (Tunisie, Egypte), de nouvelles vulnérabilités (Jordanie, Liban) et une dissémination des armes et de la violence du Moyen-Orient vers le Sahel. A l’Est, la résurgence des initiatives russes depuis la guerre en Géorgie (2008) à l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Est de l’Ukraine depuis 2014 et la nouvelle aventure de Vladimir Poutine en Syrie sont lourds de menaces.
Sécurité globale ou internationale enfin. En Asie, on assiste à la montée en puissance de la Chine et les interrogations qu’elle suscite, notamment pour la liberté de circulation maritime dans la très stratégique mer de Chine du Sud. De l’autre côté de l’Atlantique, le nouveau locataire de la Maison Blanche est insaisissable, il tance ses alliés, doute de la pertinence de l’OTAN, multiplie provocations et approximations et divise l’Amérique qu’il voudrait entourer de murs. Enfin, la pauvreté reste importante à travers le monde et source de nombreux conflits, de nombreux Etats se sont effondrés, la cyber-menace s’accroît sans cesse, la criminalité internationale et la fragilité des biens communs, à commencer par l'environnement en période de réchauffement climatique, sont plus importantes que jamais.
Nous pourrions en rester à cette typologie classique des défis à la sécurité de la France. Parce que consacrée, elle est finalement familière en dépit de ses nuances sombres. Mais les défis s’interprètent également à la lumière de ceux qui en ont la charge. Nous assistons à une triple crise qui devrait interpeller la prochaine équipe dirigeante de notre pays. La première relève de la décomposition des cercles d’appartenance traditionnels de la France : le cercle européen, le cercle atlantique et celui dit de la francophonie. La deuxième crise découle de la menace qui pèse sur notre instrument diplomatique et militaire qui a urgemment besoin d’être modernisé. La troisième crise et dernière est celle qui pourrait résulter d’un aveuglement intellectuel qui pourrait entraîner d’« étranges défaites » si les approches stratégiques ne sont pas diversifiées.
LA CRISE DES CERCLES D'APPARTENANCE
La France est un membre influent de l'Union européenne, de l’Alliance atlantique et une puissance globale disposant de relais d’influence, essentiellement en Méditerranée et en Afrique, territoires avec lesquels elle partage une histoire commune. L'Union européenne est aujourd’hui en crise. Crise institutionnelle marquée par des blocages décisionnels ; politique renforcée depuis le Brexit; économique depuis la crise financière qui a commencé en 2008 ; sécuritaire depuis les attaques terroristes qui ont mis à jour les dysfonctionnements et l’absence de coordination entre les Etats membres et depuis les menées russes en Ukraine devant lesquelles les Vingt-huit se sont retrouvés impuissants et enfin crise morale à l’heure où des milliers de personnes trouvent la mort en tentant de rejoindre l’Union ou sont accueillies par des barbelés.

Le cercle d’appartenance atlantique, que la France a choisi de rejoindre en 1949, est lui aussi en difficulté. Il a souffert de la distance d’un Barack Obama, davantage attiré par les défis du Pacifique et qui a pu laisser certains de ses alliés douter de sa détermination à les protéger en cas de crise grave. L’OTAN souffre aujourd’hui des gestes incohérents et des signaux contradictoires envoyés par Donald Trump. L’Amérique met en danger ce qu’elle a elle-même construit à l’heure où la menace russe ressurgit et où le peer competitor chinois s’affirme. Par ailleurs, le pays de la deuxième armée de l’Alliance atlantique, par ailleurs candidate (de moins en moins au fil du temps) à l'Union européenne – il s’agit bien sûr de la Turquie – retrouve des réflexes autoritaires.

Enfin, le cercle de la francophonie a connu de grands bouleversements : les printemps arabes et le développement de nouveaux conflits au Moyen-Orient. Le Maghreb reste fragile et l’Afrique francophone n’est plus celle de Jacques Foccart (ce qui n’est pas forcément à regretter). Elle est complexe comme l’ont montré, entre autres, les épisodes ivoiriens des années 2000 (au moment de l’opération Licorne, et notamment des affrontements entre troupes françaises et foule ivoirienne en 2004), départs massifs de la communauté française installée dans le pays) et s’ouvre désormais à la concurrence, notamment chinoise.

Comment reconstruire ces cercles d’appartenance censés protéger les citoyens des aléas les plus violents de la mondialisation et qui ont mobilisé tant d’énergie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Nous sommes à la fin d’un cycle. La France doit réinventer ses cadres de sécurité. A-t-elle une idée de ce qu’elle veut faire ? Avec quels partenaires souhaite t-elle en priorité ? Et avec quels moyens ?
QUEL INSTRUMENT ET QUELS MOYENS ?

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La défense, pour quoi faire ?






Article paru dans TheConversation

La question est de Jean‑Luc Mélenchon, dans le débat du 4 avril, et il faut reconnaître qu’elle a sa pertinence. Car les divergences entre les principaux candidats de l’élection présidentielle de 2017 tiennent finalement moins dans le renforcement de l’outil de défense lui-même – tous l’appellent de leurs vœux – que dans l’utilisation qu’ils souhaitent en faire.
Après les attentats de 2015-2016, le consensus sur un renforcement de l’armée et de la sécurité est à l’ordre du jour. Mais après l’élection de Donald Trump et les menées de Vladimir Poutine (en Ukraine comme en Syrie), les visions stratégiques divergent.

Des moyens pour la défense

Après deux Livres blancs sur la défense et la sécurité en 2008 et 2013, marqués par une réduction du format des armées, le retour du tragique sur le territoire national et dans l’environnement stratégique immédiat de l’Europe a imposé de reconsidérer la question. À la veille du scrutin des 23 avril et 7 mai, l’augmentation du budget est une nécessité reconnue : à 2 % du PIB pour les uns (Emmanuel Macron, François Fillon) ; à 3 % sur un quinquennat pour d’autres (Marine Le Pen, de façon moins certaine Benoît Hamon), tandis que Jean‑Luc Mélenchon refuse de raisonner en chiffres, encore moins avec ceux de l’OTAN (qui fixe la norme des 2 %).
L’idée d’une révision du dispositif Sentinelle est également partagée : la présence massive de militaires sur le territoire national après les attentats n’est pas appelée à perdurer (Macron, Hamon), sans doute à être redimensionnée (Fillon). De la même manière, l’utilité d’un nouveau Livre blanc ou d’une revue de défense nationale après l’élection, exercice devenu consubstantiel de l’ouverture d’un nouveau quinquennat, est largement reconnue. La tâche serait confiée directement au chef d’état-major des armées en cas de victoire de François Fillon.
Même l’idée d’une réintroduction, sous une forme ou une autre, d’un service national, fait son chemin. Si la proposition d’Emmanuel Macron d’un service « de durée courte un [mois], obligatoire et universel » a été la plus commentée, Marine Le Pen (trois mois) et Jean‑Luc Mélenchon (9 à 12 mois) y sont également sensibles.

Des postures stratégiques opposées

Une fois cet hymne à la défense nationale entonné, la feuille de route prend des couleurs différentes. D’une manière générale, la tendance occidentaliste la plus dure – qualifiée parfois, et sans doute rapidement, de « néoconservatisme à la française » – est pratiquement absente du paysage. Comment pourrait-il en être autrement, alors que l’atlantisme a perdu de son sens avec un Président américain sceptique sur l’OTAN, et que Vladimir Poutine fait figure désormais de défenseur à la fois de l’Occident, de l’autoritarisme et de l’intervention militaire ?

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Macron–Le Pen, deux France dans le monde






Article paru dans TheConversation

Plusieurs règles de prudence s’imposent lorsque l’on parle de la future politique étrangère d’un pays, à la veille d’un résultat électoral :
  • ce ne sont pas les programmes qui dictent l’avenir d’une relation au monde, mais l’actualité internationale, avec ses drames et ses surprises.
  • Dès lors, une partie de ce qui a été dit dans le cadre d’un débat national avant l’élection ne pourra pas toujours être appliquée ensuite ;
  • on ne sait rien de ce que sera l’action extérieure d’un pays avant de connaître avec précision (ministres, conseillers…) les équipes qui en auront la charge ;
  • dans le cas français, il faudra même attendre les élections législatives pour connaître ces équipes ;
  • ce sont aussi les moyens financiers, en plus des volontés politiques, qui détermineront les marges de manœuvre pour agir.
Néanmoins, une certitude peut s’enregistrer dès à présent : à l’issue d’une campagne inédite, le second tour de l’élection présidentielle française verra s’affronter deux visions du monde incompatibles.

Deux visions du monde incompatibles

Emmanuel Macron fut presque le seul candidat à avoir défendu le projet européen, et à vouloir le relancer tout en en admettant les limites ; ses visites à l’étranger en tant que candidat l’ont emmené aux États-Unis dont il ne renie pas l’alliance structurelle tout en se distançant de l’actuel président, en Allemagne qu’il voit en partenaire irremplaçable, au Royaume-Uni où se sont exilés nombre de jeunes Français en quête d’emploi, ou à plusieurs reprises dans le monde arabe (Tunisie, Algérie, Liban, Jordanie).
Il se méfie d’un trop grand rapprochement avec Moscou (qui inquiéterait à la fois les Alliés de l’OTAN et certains partenaires européens de l’Europe orientale), et plus encore d’un choix manichéen entre l’État islamique et le régime de Damas en Syrie.
Marine Le Pen, elle, capitalise depuis longtemps (à la suite de son père) sur le sentiment anti-européen, au point de présenter implicitement les accusations dont elle fait l’objet à propos de son utilisation des fonds européens, en actes de défi vis-à-vis de Bruxelles. Elle dénonce l’OTAN, mais loue régulièrement le nouveau Président américain, et patiente au bas de sa Trump Tower dans l’espoir (non exaucé) d’une rencontre avec lui.
Marine Le Pen reçue par Vladimir Poutine, au Kremlin, le 24 mars 2017. Mikhaïl Klimentiev/SPUTNIK/AFP
A Moscou, elle est reçue par Vladimir Poutine pour qui elle ne cache pas son admiration, persistant et signant dans sa volonté de se rapprocher de la Russie, en dépit des accusations de dépendance dont son parti fait l’objet (notamment après l’octroi d’un prêt de 9 millions d’euros par une banque russe). Ses déclarations sur l’Allemagne sont souvent inamicales. Elle a préféré, dans ses visites de campagne, le Tchad d’Idriss Deby au monde arabe, sauf au Liban, où elle a rencontré le nouveau Président Aoun, allié de Damas et du Hezbollah.
Difficile, donc, d’avoir deux candidats plus éloignés en la matière. Il n’y a pas là que des mots, ou des programmes élaborés à la hâte pour les besoins d’une campagne : chacun est bien en cohérence avec sa vision du monde, et, sans doute, avec son électorat.

Faux clichés

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