mardi 30 avril 2019

Géopolitique des séries




Dans son ouvrage éponyme daté de 2016, Dominique Moïsi s’attaquait à la Géopolitique des séries avec le regard de l’internationaliste. Il voyait, dans ce type de production désormais dominant, le reflet de nos peurs contemporaines, établissant d’ailleurs un parallèle entre le succès croissant de ces séries, et l’après 11 septembre 2001 (sans y voir pour autant un rapport de cause à effet, bien entendu). Les titres retenus par lui, dans cette étude qui en réalité prolongeait son ouvrage antérieur, Géopolitique des émotions (2008), étaient alors Downton Abbey, Occupied, Game of Thrones, Homeland, House of Cards.

Les analyses des séries sont nombreuses, mais celle de Dominique Moïsi, en français, innove à bien des égards et mérite d’être prolongée ou mise à jour par quelques réflexions, et étendue à d’autres titres, qui ont fleuri depuis (ou dont le succès s’est confirmé).

En premier lieu, les séries ne datent naturellement pas des années 2000, mais Moïsi a raison de voir dans ce moment un tournant dans la globalisation de leur succès, même si antérieurement, le Prisonnier, Les Envahisseurs, Au-delà du réel, et autres X-Files (diffusé pour la première fois en 1993), mériteraient bien des commentaires sur le plan de la peur, du rapport à l’Etat, et même du rapport à l’autre.

Ensuite, il faudrait naturellement poursuivre ce travail sur des succès ultérieurs, desquels on tirerait plusieurs observations, en particulier sur la plus grande variété des pays producteurs, sur la fin du monopole anglo-saxon, et surtout, sur le statut de ces séries comme reflet d’une société ou comme instrument d’influence. Le bureau des légendes (France), Fauda (Israël), Bürü ou Diriliş Ertuğrul (Turquie), Adaptatsia (ou Adaptation, Russie), en témoignent. Ces productions pourraient par ailleurs faire l’objet d’une analyse comparée, et être mises en parallèle avec les romans d’espionnage ou thriller, parmi ceux qui, chaque année en différents endroits atteignent des niveaux de vente importants, avec des auteurs récurrents (Daniel Silva et son agent israélien Gabriel Allon, ou d’autres fictions d’excellente facture venues notamment d’Asie).

Dans les régimes autoritaires, on note le rattrapage croissant des fictions politiques par l’Etat : celles-ci mettent en scène l’invulnérabilité d’une culture donnée, sa résurgence, à travers elle l’action bénéfique menée par ses autorités actuelles, le tout destiné à un public ciblé, non seulement domestique mais choisi à l’extérieur, comme les sociétés arabes pour les fictions turques. Les fictions produites dans les démocraties libérales opèrent différemment, qui développent en apparence une critique sans concession du système bureaucratique de leur propre pays, tout en avalisant la réalité de la menace à laquelle les services font face. Ainsi, si Homeland brosse un sombre tableau des méandres américains, la menace terroriste est bien réelle. Idem dans la série israélienne Fauda, où les dysfonctionnements de l’Etat hébreu sont – en partie – exposés, mais pour mieux confirmer la menace du Hamas, entre autres.

Les séries touchent désormais un large public, et cela intéresse donc les Etats. Comme du temps de la guerre froide, le vecteur populaire le plus répandu est susceptible d’être instrumentalisé. Il doit donc être aussi étudié à la lumière de cette probabilité.