samedi 7 mars 2020

Christopher HILL, The Future of British Foreign Policy. Security and Diplomacy in a World After Brexit


 

Christopher HILL, The Future of British Foreign Policy. Security and Diplomacy in a World After Brexit, Polity Press, Cambridge, 2019

Spécialiste de politique étrangère aux nombreux ouvrages de référence (Foreign Policy in the Twenty-First Century, 2015), et co-éditeur (avec Christian Lequesne) de la European Review of International Studis (ERIS), Christopher Hill nous offre une synthèse éclairée de ce que pourrait être, désormais, la diplomatie britannique, ses priorités, ses marges de manœuvre, après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Après un récapitulatif analytique de ce que fut la relation des britanniques à l'Europe, l’ouvrage passe en revue la portée possible de l’action extérieure de la Grande-Bretagne, ses cartes possibles, insiste particulièrement sur les deux relations bilatérales privilégiées avec la France et les Etats-Unis.
Dans la lignée d’autres travaux (M. Kenny et N. Pearce, Shadows of Empire, 2018 ; D. Owen et D. Ludlow, British foreign policy After Brexit, 2018), mais à sa manière et avec l’expérience qui est la sienne, Christopher Hill porte un regard sceptique sur le « Global Britain » promis par les partisans du Leave, aujourd’hui au pouvoir à Londres.

Quatre cartes, selon lui, s’offrent à présent à la stratégie de Whitehall, toutes difficiles à exploiter : 1- un renouveau de l’activisme britannique aux Nations Unies, 2- explorer davantage le réseau du Commonwealth, 3- se focaliser sur la solidarité de l’ « anglosphère », 4- se concentrer sur la relance de partenariat bilatéraux privilégiés.

Mais les Nations Unies ont montré à plusieurs reprises que Londres n’y ferait plus la pluie et le beau temps, en dépit de son droit de véto. Un échec du Royaume-Uni à se faire élire à la Cour International de Justice en novembre 2017, un soutien de l’Assemblée générale à une motion de l’île Maurice contre le Royaume-Uni sur les îles Chagos la même année, en sont autant de signes. Par ailleurs, la position de Londres en tant que membre permanent, comme celle de Paris, est critiquée, et le couple franco-britannique devra rester soudé pour maintenir son statut, ce qu’il a certes les moyens de faire. Le Commonwealth est un club réel, mais dont les membres sont devenus très hétéroclites, dont on imagine mal qu’ils se plient à la volonté d’une ancienne puissance coloniale qui a vu son influence se réduire en Asie comme en Afrique de l’Est. En outre la sortie de l’UE affaiblira Londres dans ses négociations avec les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), qui ont tissé des liens étroits avec l’Europe, notamment depuis les conventions de Lomé/Cotonou. L’anglosphère (principalement Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle Zélande) fournit des coopérations précieuses (les Five Eyes pour le renseignement, ou le Five Power Defence Agreement de 1971 avec la Malaisie, Singapour, l’Australie et la Nouvelle Zélande), mais que Christopher Hill ne voit pas se transformer en structure plus globale ni plus permanente. Enfin, les partenariats bilatéraux offrent l’embarras du choix, sans pour autant constituer une panacée, à l’heure où les BRICS dérivent vers le nationalisme autoritaire.

On aurait aimé davantage de développements sur cette solitude britannique à l’heure de Donald Trump, qui pose un véritable problème à tous ses alliés. Mais l’auteur cherche à s’extraire du conjoncturel, pour proposer une analyse durable, comme il l’explique de façon convaincante dès l’introduction.

L’exercice est réussi. On comprend, à la lecture de ce travail, ce que fut la complexité de la relation euro-britannique, ce que sera la difficulté du Royaume-Uni à l’avenir, et à quel point il restera indispensable, pour les européens du continent, à commencer par la France, d’imaginer les cadres permettant de maintenir des liens étroits avec ce partenaire indispensable que reste la Grande-Bretagne.

Bernard BAJOLET - Le soleil ne se lève plus à l’est

Le soleil ne se lève plus à l’est

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Frédéric Charillon propose une analyse de l’ouvrage de l’ancien ambassadeur Bernard Bajolet, Le soleil ne se lève plus à l’est. Mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate (Plon, 2018, 464 pages).
Ambassadeur en Jordanie (1994-1998), en Bosnie-Herzégovine (1999-2003), en Irak (2004-2006), en Algérie (2006-2008), en Afghanistan (2011-2013), coordonnateur national du renseignement, directeur de la DGSE… : sans avoir occupé les postes dits « consacrés » (Washington, New York, Moscou, Bruxelles…), mais parce qu’il a assumé les plus délicats dans des périodes pour le moins difficiles, Bernard Bajolet compte parmi les grands de la Carrière.
Ses mémoires portent la marque d’une passion pour le monde musulman, et l’ouvrage s’ouvre d’ailleurs, d’une façon qui peut surprendre, par un long exposé pédagogique, teinté de souvenirs, de rencontres et de conversations, sur les nuances de l’islam, ses branches, et sur les chrétiens d’Orient. L’auteur s’y confie avec pudeur, mais suffisamment pour brosser son portrait : celui d’un Lorrain fidèle à des convictions, au franc-parler rugueux, quitte à traverser, pour prix de son insolence, quelques déserts. Il en traversera au sens figuré du fait de son caractère entier, puis au sens propre : la France pouvait-elle se passer d’une telle expertise dans l’Orient compliqué ?
Les pays traversés font l’objet d’une remise en perspective historique et politique plus qu’utile. Les leaders rencontrés (la famille Al-Assad et son entourage, Ytzhak Rabin, Yasser Arafat, le roi Hussein de Jordanie et la reine Nour…) y ont leurs portraits fins. Beaucoup d’hommages, quelques coups de griffe, dans cette fresque claire qui s’étire des années 1970 à la fin des années 2010, et dont, étrangement, le débat public français (ce qui en dit long) a surtout retenu les pages consacrées à l’Algérie et les critiques prémonitoires (juste avant les manifestations algériennes du printemps 2019) à l’encontre du régime FLN. Pourtant, de la Syrie à la Bosnie, des pourparlers israélo-palestiniens jusqu’au drame irakien ou aux affaires d’otages, c’est un cours d’une rare densité que nous offre ce livre. Un cours sur des pays et des sociétés, sur des cultures, sur les relations internationales aussi. Les erreurs de jugement y sont montrées, comme le choix américain de débaasifier l’Irak sans compensations pour une communauté sunnite soumise au nouvel ordre chiite.
L’épilogue prodigue quelques conseils prospectifs, brefs mais pertinents. L’écriture est fluide, à la fois précise comme peut l’être un télégramme diplomatique, et empreinte de sensations, de sensibilité, de détails, par amour pour cet Orient qui n’est plus. Cet Orient qui vit naître l’espoir d’un processus de paix aujourd’hui défunt, né pourtant après 1993, à l’époque où Bernard Bajolet allait bientôt prendre ses fonctions comme ambassadeur de France en Jordanie. C’était l’époque où les membres de l’ambassade (et leurs coopérants), sise Mutanabbe Street, se rafraîchissaient à l’ombre des arbres de l’hôtel Hisham tout proche.
Les voyeurs, toutefois, seront déçus : nulle révélation indécente pour cet ancien patron des services, qui n’est pas du genre à finir sur des « Un espion parle ». Peu d’évocation de ces fonctions-là, par sens du devoir sans doute. Plutôt un attachement à des êtres, à des moments. Une analyse, un récit (y compris sur le danger qui l’a menacé plusieurs fois), un regard qui se veut à la fois clinique et humain, comme une invite à découvrir le monde, à partir, encore et toujours. Après un tel parcours, ses mémoires étaient attendus, et son expertise reste indispensable.
Frédéric Charillon