jeudi 31 mai 2012

L'avenir des relations transatlantiques

L'avenir des relations transatlantiques


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L’année 2012 est cruciale à bien des égards pour la relation transatlantique, et le sommet de l’OTAN qui s’ouvrira à Chicago le 20 mai prochain n’en est qu’une illustration parmi d’autres.

Sur le plan bilatéral franco-américain, plusieurs remarques préliminaires s’imposent.

1- les calendriers électoraux font que les deux présidents élus ou réélus cette année sont d’autant plus condamnés à s’entendre qu’ils feront chronologiquement la route ensemble pour la quasi-totalité de leurs mandats respectifs (mai 2012 – mai 2017 pour le français, janvier 2013 – janvier 2017 pour l’Américain). En cas de divergence stratégique grave, il sera donc inutile d’attendre le successeur de l’autre...

2- Chose inhabituelle, la question qui préside à l’arrivée de nouvelles équipes de part et d’autre de l’Atlantique n’est plus « comment améliorer la relation franco-américaine ? » (comme par exemple en 2007, après les heures difficiles de la crise irakienne de 2002-2003), mais elle est plutôt de savoir si l’entente entre les deux pays, après le retour français dans les instances intégrées, la coopération observée dans l’affaire libyenne, ou sur bien d’autres dossiers encore, gardera la même nature.

3- Enfin, l’année 2012, bien au-delà des relations entre les hommes, constitue un tournant stratégique que les deux puissances devront gérer ensemble. L'Irak est derrière nous, mais depuis les révoltes arabes, la double question de l’avenir du Proche Orient et du monde méditerranéen présente un défi commun d’une nature très nouvelle. L’Afghanistan fera l’objet de discussions pour aborder ensemble le nouveau chapitre à écrire et sortir de plus de dix ans d’opérations, mais la question iranienne plane, et derrière elle le spectre d’un nouveau conflit avec Israël.

De part et d’autre de l’Atlantique, surtout, les sociétés changent. La France, comme beaucoup de ses voisins, s’inquiète de l’évolution d’une Union Européenne que l’on ne considère plus, loin s’en faut, comme un atout naturel sur la scène mondiale. Aux Etats-Unis, le face à face sociologique – mais lourd de retombées internationales et stratégiques - se précise entre d’une part une Amérique des Baby boomers souvent crispée sur elle-même et volontiers occidentaliste, et d’autre part une génération nouvelle de Millenials plus multiculturels, identitairement moins attachée à la vieille Europe et plus sensible à d’autres pôles émergents (l’Asie, l’Amérique centrale et du Sud, l’Afrique, principalement).
Autant de raison de mieux se connaître, de mieux se comprendre, de mieux anticiper les mésententes ou les misperceptions, pour reprendre les termes de Robert Jervis. Autant de raisons, à quelques jours de Chicago, de consacrer une bonne partie de notre Lettre à cette relation transatlantique, et à la politique telle qu’elle se pratique à Washington.

Notes :
1- Rappelons que les Etats-Unis et la France font partie des seules puissances occidentales à être représentées, lors des sommets internationaux notamment, par leur chef de l’exécutif et non par un seul chef de gouvernement. Sur le plan protocolaire, cette singularité n’est pas toujours sans conséquences.
2- A.K. Greene, L’Amérique après Obama, Autrement, Paris, 2012.
3- R. Jervis, Perception and Misperception in international Politics, Princeton University Press, Princeton, 1976.

Convention de l'ISA 2012 à San Diego


Convention de l'ISA 2012 à San Diego

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53e Convention de l’International Studies Association

San Diego – Avril 2012


Du 1er au 4 avril 2012 s‘est tenue à San Diego (Ca.), la 53e convention annuelle de l’International Studies Association (ISA), qui regroupe traditionnellement – et presque systématiquement en Amérique du Nord – la communauté des chercheurs spécialisés sur les questions internationales et stratégiques. Avec près de 500 panels réunissant chacun 4 à 8 intervenants issus de la plupart des pays du globe (de l’étudiant doctorant jusqu’aux auteurs vedettes du marché), cette manifestation constitue depuis longtemps l’un des plus importants rendez-vous annuels en la matière. 

Outre ses « invariables » (de la politique étrangère et de défense américaine juqu’aux gender studies en passant par les questions environnementales et les débats sur la théorie des relations internationales), l'événement présente chaque année des tendances qu’il n’est pas inutile d’observer pour se donner une idée des débats structurants du moment, dans un monde anglo-saxon où nombre des papiers présentés dans une telle enceinte se transforment en articles de presse puis en ouvrage à succès. La cuvée 2012 était comme à l’habitude riche d’enseignements. L’étude des politiques américaines reste omniprésente, celle de la stratégie chinoise, toujours fortement développée. Mais si la montée en puissance des panels consacrés aux stratégies des pays du sud était patente, l'Europe avait presque disparu des débats, à quelques exceptions près. Les soulèvements arabes ont fait l’objet de nombreuses présentations, qui insistaient trop peut-être sur le rôle prêté aux réseaux sociaux dans cette affaire. L’enjeu iranien et la cyberdéfense étaient également à l’honneur cette année. Les questions militaires enfin, ou les retours sur les confits en cours, ont fait l’objet de traitement parfois très précis, technique, grâce à des panels réunissant chercheurs, militaires, diplomates et autres opérationnels. On ne peut qu’inciter nos lecteurs à se rendre sur le site de l’organisation (www.isanet.org), où l’on trouvera le programme imposant de ces discussions scientifiques, ainsi qu’une page « archives » qui permet de télécharger les papiers (http://www.isanet.org/pubs/paper-archive.html).

L’IRSEM était représenté cette année à la fois par ses chercheurs statutaires (à l’image de l’intervention de Barbara Jankowski sur l'opinion publique française face au conflit afghan), et par les doctorants de son séminaire jeunes chercheurs, soutenus par le ministère de la défense.

Moment privilégié de cette conférence : un débat sur la contribution française à la sécurité internationale, qui mettait aux prises – très amicalement et scientifiquement – nos alliés anglo-saxons représentés par les professeurs John Mearscheimer (University of Chicago), William Wohlforth (Daniel Webster Professor, Dartmouth College Department of Government) et Theo Farrell (King’s College, Londres), et une “équipe” française composée pour l’occasion du professeur pascal Vennesson (European University Institute, Florence, et ancien directeur du Centre d'Etudes en Sciences Sociales de la défense), de Frédéric Charillon (IRSEM), et d’Olivier Schmitt (King’s College de Londres, et séminaire jeunes Chercheurs de l’IRSEM). Le titre du panel, choisi par notre collègue britannique, était un programme à lui seul. En voici ici le résumé.


« Cheese-Eating Surrender Monkeys »? Reassessing the French Contribution to International Security

En ouverture, le professeur britannique Theo Farrell s’explique sur le choix d’un titre pour le moins provocateur : la France est souvent caricaturée dans le débat anglo-saxon, parfois conspuée comme le rappelle cette invective reprise (des Simpsons…) par les néo-conservateurs américains lors de la crise irakienne de 2002-2003, mais pourtant incontournable comme allié stratégique. Un point s’imposait donc sur son action importante, dix ans après ce French bashing.

Pour ouvrir les débats, Frédéric Charillon soulève trois questions. 1- La France compte-t-elle toujours en tant qu’acteur international ? Evidemment oui, comme en témoigne encore l’actualité récente (Libye, Côte d’Ivoire…), sans parler de sa présence militaire mondiale. Mais elle appartient à un ensemble qui doit s’affirmer comme acteur stratégique : l'Union Européenne. 2- La France est-elle devenue, aux yeux des observateurs étrangers, un acteur « normal », au processus décisionnel conventionnel ? La réponse est non : qualifiée jadis de « monarchie nucléaire » (Samy Cohen), elle reste une énigme pour ses alliés, avec son système d’action extérieure ultra-présidentialisé et ses focalisations géopolitiques comme autant de domaines réservés (afrique, afrique du Nord, Liban…). 3- Enfin, appliquons au cas français la célèbre question méthodologique que James Rosenau, politiste américain disparu en 2011, posait systématiquement à ses étudiants : « Of what is it an instance ? ». De quoi la France est-elle le nom, sur le plan des problématiques stratégiques ? Plus encore que d’autres peut-être, la France illustre la difficulté qu’il y a, dans le monde actuel, à transformer des outils d’influence classiques en atouts stratégiques modernes et proactifs. Car la présence ne garantie plus l’influence, la dissuasion n’offre plus toutes les sécurités, et la singularité n’assure plus systématiquement le leadership.

Pascal Vennesson offre ensuite au public une étude minutieuse des cadres d’intervention militaire privilégiés par la France. Il rappelle ainsi au public américain venu assister nombreux à ces débats que c’est bien l’OTAN qui constitue le premier cadre, pour plus de 50% des troupes françaises engagées, et ce depuis de nombreuses années, bien avant le retour en 2009 dans les instances intégrées. Avec 30% (bien plus que pour les britanniques), le cadre purement national vient en deuxième position, le cadre onusien en troisième (9%), le cadre européen en quatrième seulement (5%), en dépit de la rhétorique française telle que perçue par ses alliés.

Olivier Schmitt, jeune chercheur de l’IRSEM qui a pris une part importante dans la tenue de ce débat public, dresse un panorama méthodique de rôle de la France dans les questions de sécurité internationale, depuis l’enjeu nucléaire iranien jusqu’à la lutte contre le terrorisme, en passant par son action contre la piraterie maritime, ou sa présence militaire en Afghanistan, au Liban et ailleurs.

William Wohlforth, théoricien réaliste américain (International Relations Theory and the Consequences of Unipolarity, avec G. John Ikenberry et Michael M. Mastanduno, Cambridge University Press, 2011), revient à son tour sur la singularité française, et l’agacement qu’elle peut produire parfois chez ses alliés anglo-saxons. Il voit à ces réactions une double explication : 1- La France développe une politique typiquement illustrative d’une puissance réaliste : elle cherche à augmenter son autonomie de façon rationnelle sur la scène mondiale, et pour ce faire, se distancie de son grand allié américain si besoin. 2- Surtout, elle agit ce faisant… exactement comme les Etats-Unis le feraient à sa place. D’où un agacement mêlé d’admiration mais aussi de concurrence. Car pour W. Wohlforth, peu d’acteurs internationaux sont capables de jouer à ce niveau, et la France, comme l’Amérique, en fait partie.

Enfin, John Mearscheimer, qui compte parmi les vedettes universitaires du petit monde des relations internationales, clôture ce panel. Classé dans la catégorie des « réalistes offensifs », volontiers pessimiste, il défraie régulièrement la chronique par ses articles ("The False Promise of International Institutions," International Security, Vol. 19, No. 3, Winter 1994/1995, pp. 5-49 ; "Imperial by Design," The National Interest, No. 111, January/February 2010, pp. 16-34) ou ses ouvrages traduits en plus de quinze langues (The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, Farrar, Straus and Giroux, 2007 – avec S. Walt ; Why Leaders Lie: The Truth about Lying in International Politics, Oxford University Press, 2011). Le propos est vif, parfois provocateur. La France est à ses yeux en déclin, après avoir été une grande puissance. Affairée à deux guerres coloniales « stupides » en Algérie et en Indochine, qui suivaient elles-mêmes des choix militaires jugés « peu judicieux » et les traumatismes de deux guerres mondiales, elle a laissé la gestion de la guerre froide, dans le camp occidental, aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne et à l'Allemagne. « Quelle avait été la contribution française au moment de la victoire dans la guerre froide en 1989 ? », s’interroge-t-il. « Nulle ». Déresponsabilisée par la présence américaine en Europe, la France poursuivrait aujourd’hui des opérations qualifiées de « secondaires » comme la Libye, opérations par ailleurs impossibles à mettre en œuvre sans « Uncle Sugar » - les Etats-Unis, encore eux.

Nourri par les questions nombreuses du public, le débat fut sans concession, mais amical et teinté d’humour. « The future does not look good, so do not pretend you are still a superpower », lance-t-on depuis le point de vue des faucons américain. “The future does not look good indeed, so please don’t make it worse”, répond-on du côté européen. Et l’on se promet, en se quittant, de poursuivre cette discussion publique lors des prochaines éditions. Ainsi en va-t-il entre alliés.