dimanche 28 octobre 2012

Peut-il encore y avoir des stratégies nationales ?



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Peut-il encore y avoir des stratégies nationales ?

Visu 24-11-12
Par Frédéric CHARILLON (directeur de l’IRSEM) et Frédéric RAMEL (directeur scientifique de l’IRSEM)

Lire l'intégralité du dossier sur le site de l'IRSEM

Peut-il encore y avoir des stratégies nationales ? Poser la question ainsi, c’est déjà admettre la possibilité d’une réponse négative, et par l’introduction du « encore », laisser entendre qu’il fut un temps où les choses auraient été plus simples. Ce temps a-t-il jamais existé ? Y a-t-il eu un « jadis » où le concept de stratégie était plus clair qu’aujourd’hui, et où il pouvait se contenter d’être national ? De nombreux internationalistes, à l’image de Robert Keohane et Joseph Nye, nous avaient alertés depuis longtemps (dès les années 1970) sur les contraintes de l’interdépendance et sur les vulnérabilités que celle-ci générait. La littérature scientifique sur l’intégration régionale ensuite, puis sur la globalisation, ont achevé de nous enlever nos illusions d’autarcie possible. En soulignant la force des « dilemmes de sécurité » (où le renforcement de l’un ne fait que donner des envies de course aux armements à l’autre), en explorant la notion de « complexes de sécurité » (où les éléments d’un même ensemble régional partagent les mêmes contraintes, qu’ils le veuillent ou non), en exposant les joies… et les blocages d’une ambition européenne d’action extérieure commune, de nombreux auteurs ont dépeint les limites nombreuses à l’établissement d’une doctrine, d’une posture, d’une action qui seraient encore purement nationales. Dans cette optique, il y a déjà bien longtemps qu’aucune stratégie n’est plus nationale dans la mesure où elle doit tenir compte des partenaires, des alliés, répondre à un contexte, s’adapter à des adversaires ou à des menaces extérieures.

Mais la question prend aujourd’hui un sens différent. Ce n’est plus la prise en compte interactive de l’autre qui est en jeu – que cet autre soit ami ou ennemi. Ce sont les moyens. Moyens budgétaires d’abord, après une crise économique et financière qui oblige à repenser les synergies possibles, à gommer les doublons, à imaginer des regroupements de forces. Moyens militaires et diplomatiques ensuite, dans la mesure où les mieux dotés paraissent désormais trop loin devant leurs suivants pour laisser à ces derniers d’autres options que l’harmonisation avec leur leader. On pense ici, naturellement, à la relation de l’Amérique avec la grande majorité des européens. La puissance chinoise pourrait susciter le même entraînement auprès de plusieurs États asiatiques. Moyens politiques enfin : la multiplication de défis, l’entrée en force de la dimension sociologique dans la politique mondiale et dans le conflit, les initiatives d’acteurs non étatiques de plus en plus variés (de la firme multinationale à la nébuleuse terroriste en passant par le mouvement politique ou religieux), rendent-ils tout État, quelle que soit sa puissance, démuni face à cette profusion de défis, et réduit de ce fait à composer avec d’autres partenaires ?

Avec la modernité, l’État, devenu progressivement national au fil de l’Histoire, était pourtant, depuis longtemps, le seul acteur politique pouvant prétendre à une stratégie, au sens d’un recours à la force armée. Aujourd’hui, une telle hypothèse fait débat. D’une part, la stratégie ne se limiterait plus à la composante militaire dans le sens où elle intègre d’autres ressources et surtout d’autres finalités (l’objet de la stratégie dépasse un théâtre d’affrontements qui ne comprendrait que des soldats). D’autre part, l’État lui-même se voit concurrencé par d’autres entités qui investissent également le terrain de la guerre (l’objet de référence stratégique ne se restreint donc plus à l’État).

Cette deuxième dynamique invite à penser autrement le rôle des États : ces derniers n’agissent plus au nom de la protection de leurs intérêts définis en termes de contrôle d’un territoire face à un autre ennemi étatique, mais selon les contraintes du principe d’humanité qu’a insufflé le droit des conflits armés. Dans le cas européen, cette transformation oblige également à redéfinir les États en tant que sujet stratégique : l’action militaire de ces États ne peut plus être envisagée sans prendre en compte le processus d’intégration supranational et donc, d’envisager une autre identité stratégique.
Certains analystes, académiques comme militaires - à l’instar du Général Bachelet -, n’hésitent pas à qualifier cette tendance de « révolution copernicienne ». La raison d’État qui offrit jadis une grammaire pour tous les décideurs s’étiolerait alors progressivement. Mais une telle disparition, ou même une altération, peut-elle être extrapolée à toutes les entités étatiques ? Les émergents, ou bien une superpuissance comme les États-Unis, se heurtent-ils à cette même dynamique ? En Europe, les États ont-ils déjà perdu leur marge de manoeuvre lorsqu’il s’agit d’aborder les questions stratégiques ? Formuler de telles interrogations signifie poser la « question ontologique » en stratégie, selon le Général Poirier.


mardi 16 octobre 2012

Quel avenir stratégique pour la France?


Quel avenir stratégique pour la France?


Quel avenir stratégique pour la France? 


À l’heure où l’on s’interroge sur la marge de manœuvre des puissances dites «moyennes», entre l’horizon inatteignable de «l’hyperpuissance» américaine et l’essor des grands «émergents», la question de l’avenir stratégique d’un pays comme la France se pose nécessairement. Ni «grande puissance» au sens où les États-Unis et l’URSS l’incarnaient du temps de la bipolarité, ni simple puissance régionale, la France récuse souvent cette appellation de puissance moyenne pour préférer celle de «puissance globale», capable de jouer un rôle international au-delà de son seul environnement géographique immédiat. Son rôle militaire en Afrique (on l’a encore vu en 2011 lors des interventions en Côte d’Ivoire et en Libye), son influence diplomatique dans plusieurs processus politiques (de la crise géorgienne de 2008 au dossier libanais en passant par la réforme de la finance internationale), l’ont récemment rappelé. De façon plus structurelle, la présence de ses soldats à l’étranger est forte: environ 7 000 militaires engagés en opération au printemps 2012 (l’Afghanistan, le Liban et le Tchad constituant les principales opérations), auxquels il faut ajouter environ 8 300 militaires pour les «forces de souveraineté», répartis sur trois zones d’outre mer (Caraïbe, Pacifique, Océan Indien), et 3 650 militaires pour les «forces pré-positionnées», répartis entre le Gabon, le Djibouti et les Émirats arabes unis. Si on y ajoute un rang de puissance économique, son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et son statut de puissance nucléaire, le dynamisme de la francophonie dans le monde et le rôle qu’elle y joue, on obtient une série d’éléments qui permettent de prétendre à ce statut. Pour autant, l’évolution des rapports de forces et des budgets imposent la réflexion.
Plutôt que de reprendre le contenu de la politique étrangère de la France ou de ses capacités de défense, on insistera sur trois questions qui doivent intervenir en amont de ces bilans. La France compte-t-elle toujours en tant qu’acteur international? Est-elle devenue, aux yeux des observateurs étrangers, un acteur «normal», au processus décisionnel conventionnel? Enfin, appliquons au cas français la célèbre question méthodologique que les politologues américains James Rosenau et Mary Durfee posaient systématiquement à leurs étudiants: «Of what is it an instance?» De quoi la France est-elle le nom, sur le plan des problématiques stratégiques?

Lire la suite dans la revue GLOBAL BRIEF (Toronto)

mercredi 3 octobre 2012

L’avenir de la sécurité en Méditerranée

L’avenir de la sécurité en Méditerranée  

World Affairs in the 21st Century


En 1990, dans son Turbulence in World Politics, le regretté James N. Rosenau nous mettait en garde contre l’avènement d’un monde marqué par des vents et tendances contraires (tendance à l’intégration comme à la désintégration, à l’ouverture libérale comme à la crispation autoritaire), qui ne se réduirait plus à une formule unique. A la bipolarité ne succéderait donc pas l’uni- ni la multipolarité simples. A la guerre froide ne succèderait ni un « brave nouveau monde », ni un « choc des civilisations », ni encore moins une « fin de l’histoire ». Plus encore, aux monde des Etats se superposerait une monde multi-centré, animé par une prolifération d’acteurs non étatiques : mouvements, associations, groupes religieux, entreprises, jusqu’aux simples individus citoyens devenus producteurs d’action internationale et de discours compétent sur les enjeux mondiaux.

Ce constat nous revient aujourd’hui immanquablement en mémoire. Alors que plusieurs chocs systémiques se sont succédé en cascade, prenant chaque fois de vitesse les décideurs et les observateurs (la fin de la guerre froide, les attentats du 11 septembre, les printemps arabes…), le monde se trouve dans un entre-deux stratégique. Il a quitté la bipolarité sans savoir encore vers quoi. Cet état d’incertitude touche la Méditerranée, en proie au doute après les révoltes arabes, et ses perspectives d’avenir dépendront de trois grands facteurs : la gestion des « après-printemps », la gestion des grands abcès de fixation, et la posture des puissances.

Lire la suite sur le blog canadien Global Brief