vendredi 31 août 2012

Sur la politique étrangère de la France : Hubert Coudurier, Frédéric Bozo, Marie-Christine Kessler


Sur la politique étrangère de la France : Hubert Coudurier, Frédéric Bozo, Marie-Christine Kessler

 

-          H. COUDURIER, Et les masques sont tombés. Les coulisses du quinquennat, Robert Lafont, Paris, 2012.
-          F. BOZO, La politique étrangère de la France depuis 1945, Flammarion, Paris, 2012
-          M-Ch. KESSLER, Les ambassadeurs, Presses de Sciences Po, Paris, 2012

Parmi les ouvrages consacrés en 2012 à l’action extérieure de la France : la chronique sarkozienne d’Hubert Coudurier, le panorama historique de Frédéric Bozo, et l’essai de Marie-Christine Kessler, entre analyse de politique publique, rétrospective historique, et sociologie de la diplomatie.

Directeur de l’information du Télégramme de Brest, Hubert Coudurier nous avait offert en 1998 Le monde selon Chirac, qui constituait alors l’un des rares travaux sur le début du premier mandat chiraquien, consacré à la politique étrangère. A la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, il récidive avec Et les masques sont tombés, sous la forme de courtes saynètes mettant en scène l’ancien président face aux défis du monde. Si le rôle de la France en Côte d’Ivoire et en Libye, en 2011, est qualifié de « doublé » qui redonne une influence au pays dans son environnement stratégique, l’auteur ne ménage pas pour autant le sixième président de la Ve République, moins encore son premier ministre des Affaires Etrangères Bernard Kouchner. Plus porté vers l’anecdote de politique intérieure que sur l’analyse internationale, le récit se veut davantage la chronique d’un quinquennat, mais conclue néanmoins sur la difficile compatibilité entre la grandeur des ambitions et la faiblesse des moyens. 
Frédéric Bozo embrasse quant à lui une période bien plus longue, qui va de 1945 au mandat de Nicolas Sarkozy. Historien réputé, spécialiste notamment de la relation entretenue par la France avec l’Alliance atlantique, l’auteur propose à la fois un panorama synthétique fort utile qui peut servir de manuel, d’analyse rétrospective stimulante, et d’outil de recherche, notamment à travers sa bibliographie en fin de texte. En cinq mouvements et dix chapitres, La politique étrangère de la France depuis 1945  opère un découpage chronologique qui voit se succéder le temps des frustrations (1945-58), la contestation du statu quo [bipolaire] (1958-69), la gestion de l’héritage [gaullien] (1969-81), la fin de la guerre froide (1981-95), et la France face à la mondialisation (1995-2011). L’auteur est bienveillant avec les différents présidents, cherchant davantage à comprendre qu’à accuser. Ainsi la passivité de François Mitterrand, voire sa lutte pour maintenir le statu quo face aux bouleversements européens des années 1989-91, selon lui, est un mythe, même s’il admet « le choix de la prudence ». De la même manière que les accusations selon lesquelles le président socialiste aurait eu une attitude pro-serbe et favorable au maintien de la Yougoslavie, relèvent selon Frédéric Bozo de la « légende tenace ». Il voit en revanche davantage de limites au volontarisme chiraquien, et à ses tentatives de peser sur le cours du monde, des Balkans à la guerre du Golfe de 2003. Enfin, il voit – entre autres choses – plus de continuité que de rupture dans la politique étrangère menée par Nicolas Sarkozy, où la promotion du G20, par exemple, s’inscrit finalement dans la suite d’une politique chiraquienne de reconnaissance des nouvelles puissances émergentes dans un monde multipolaire.

Exercice très différent pour Marie-Christine Kessler, qui fait autorité comme spécialiste de politique publique. Déjà auteur en 1999 de La politique étrangère de la France. Acteurs et processus, elle emprunte cette fois-ci davantage à l’histoire et à la sociologie, pour dresser un portrait des ambassadeurs finalement en forme d’hommage, là où des ouvrages journalistiques avaient plutôt cherché, récemment, à les discréditer. D’anecdotes en portraits fouillés, elle remonte aux origines de la diplomatie, nous fait revivre les mémoires des grands ambassadeurs (Pierre de Margerie, les frères Cambon, François Charles-Roux, Paul Morand, bien sûr André François-Poncet, et bien d’autres), en prenant soin de ne pas gêner ceux qui sont toujours aux affaires. Ce travail, fruit d’une longue enquête, ne néglige presque rien. Marie-Christine Kessler excelle là où on l’attend : sur les dossiers que peu de chercheurs maîtrisent, à la fois techniques (culturel, développement, budget, coordination des services, commissions mixtes…) et administratifs (la carrière, la diplomatie comme élite, comme grand corps de l'Etat…). Mais elle excelle aussi là où l’attendait moins, sur ce tableau de la diplomatie comme métier, comme image (y compris dans la littérature), comme trajectoire historique, comme culture… On mesure, en lisant l’ouvrage, l’ampleur d’une enquête longue et qui fut fondée sur de nombreux entretiens. La bibliographie mérite une mention particulière, en ce qu’elle offre pratiquement une somme définitive – en 2012 – sur la question. Cette sociologie historique des ambassadeurs manquait, puisque peu d’ouvrages étaient consacrés à cette question en France (on se souvient néanmoins du Diplomate : une sociologie des ambassadeurs, par Mérédith Kingston de Leusse, en 1997, pionnier mais bien moins ample que ce dernier travail). Il fallait la trousse à outil expérimentée et multiple de Marie-Christine Kessler, avec cet éventail qui va des de la science administrative des grands corps de l’Etat jusqu’à la connaissance personnelle des acteurs en passant pas l’érudition historique, pour offrir ce livre.