jeudi 25 février 2016

T. Edmunds, J. Gaskarth, R. Porter (dirs.), British Foreign Policy and the National Interest. Identity, Strategy and Security



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T. Edmunds, J. Gaskarth, R. Porter (dirs.), British Foreign Policy and the National Interest. Identity, Strategy and Security, Palgrave, Londres, 2015

Le lien entre politique étrangère et intérêt national ne va plus de soi, comme on le voit aujourd’hui dans plusieurs Etats membres de l'Union Européenne où l’on rechigne à mobiliser ce dernier concept, soit par rejet explicite, soit par omission. La politique étrangère comme politique publique visant à organiser à l’extérieur la poursuite de l'intérêt national ne serait donc plus assumée comme telle. S’agit-il d’une incapacité à penser cet intérêt ? A l’assumer publiquement ? A procéder sa formulation sans rompre la cohésion entre différents cercles de décideurs ? S'agit-il plutôt d'une prise en compte des nouvelles contraintes du storytelling, qui imposent une rhétorique prudente à l'appui de son action extérieure ? En regrettant, le 5 février 2013, que l'intérêt national soit en train de « prendre le pas sur l’intérêt européen », ou en affirmant quelques jours plus tôt et peu après l'opération Serval, dans ses vœux à la presse, que la France n’avait « aucun intérêt au Mali [et ne défendait] aucun calcul économique ou politique », François Hollande illustrait en partie cette tendance, à propos d’une intervention militaire pourtant saluée internationalement comme réussie.

T. Edmunds, J. Gaskarth, R. Porter, et les auteurs rassemblés dans cet ouvrage collectif, reviennent sur ce lien entre politique étrangère et intérêt national, dans un Royaume-Uni où les interrogations publiques sur l’action extérieure sont désormais nombreuses (voir le rapport de la London School of Economics sur une « crise de confiance » de la politique étrangère britannique).

Outre plusieurs chapitres importants (celui d’Alexander Edmunds, « Organising for British National Strategy », sur les acteurs contribuant à la formulation de l'intérêt national ; celui de Helen Parr sur la guerre des Falklands), on retiendra d’abord une introduction présentant un récapitulatif utile des possibles définitions académiques de l'intérêt national, et la typologie proposée par Jamie Gaskarth dans son chapitre « The National Interest and Britain’s Role in the World ». Fondée sur la théorie du rôle en politique étrangère (perception d’un rôle spécifique par les décideurs pour leur pays), l’approche distingue les orientations possibles de ce rôle, les conceptions qui en découlent et les pratiques politiques qu’elles supposent de mettre en œuvre. Pour le Royaume-Uni, les orientations potentielles sont nombreuses : celle d’un Etat isolé, d’un partenaire régional, d’une puissance d’influence, d’un leader international responsable, d’une puissance interventionniste opportuniste, d’une grande puissance. Chacune de ces options impliquant des conceptions précises (un phare de la démocratie, un pont entre les deux rives de l’Atlantique, un allié fiable, un partenaire constructif, un garant du droit international et des droits de l'homme, un protecteur régional…), et des actions concrètes (interventions économiques sur les marchés ou militaires sur le terrain, une présence forte dans les organisations internationales, des discours diplomatiques ou des pratiques domestiques en adéquation…).  

On ne peut éviter de faire ici le parallèle avec la France, ou avec l'Allemagne, troisième membre de ce trio des puissances moyennes européennes, au sens de puissances qui, sans pour autant pouvoir prétendre à la comparaison avec les grandes puissances reconnues comme telles (les États-Unis, ou dans une moindre mesure la Chine) conservent suffisamment de ressources pour exercer une influence à l'échelle globale et non dans son seul environnement régional immédiat, sur un vaste ensemble d'enjeux, ce qui les place dans une catégorie d’influence supérieure aux puissances régionales ou aux Etats d'influence uniquement sectorielle.  

La France se voit-elle toujours comme une grande puissance ? Comme un moteur régional (en tandem avec berlin) ? Comme une puissance globale d’influence ? Un leader international responsable (membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies) ? une puissance interventionniste en dépit de ses limites de moyens ? Ou, en d’autres termes, de quel type puissance la formulation de ses intérêts nationaux est-elle le nom ? Le débat est lancé, et la comparaison britannique apportée par Gaskarth et ses collègues ne peut qu’être la bienvenue.