lundi 31 août 2015

"The decline of international studies" ?

Dans un article ainsi intitulé (Foreign Affairs,Juin 2015), Charles King (Georgetown, University) alerte ses lecteurs sur la fin possible de ce qui a contribué largement à la supériorité stratégique américaine : l’entretien d’une connaissance fine des autres régions du monde, permettant aux décideurs de « voir le monde tel que les autres le voient » (J. William Fullbright).

Plaidoyer à la fois réaliste en ce qu’il résonne en termes de rapports de force, et anti-réaliste en ce qu’il insiste sur le fait que la puissance est le fruit de bien plus qu’une seule force économique et militaire, l’article loue l’apport d’une communauté de « minutemen of the mind » : universitaires, étudiants, intellectuels curieux… Il rappelle d’autres vérités encore : la connaissance ne s’épanouit que dans un environnement qui lui est propice ; la mobilité des savants est un atout ; beaucoup de pays sont capables d’envoyer des missiles, peu ont réussi à construire l’équivalent de la Brookings ou de la Chatham House ; enfin et surtout, il doit être demandé aux chercheurs de contraindre les décideurs, en leur montrant que les réalités sont toujours plus complexes qu’ils ne le pensent, et non de conforter leur pouvoir et leurs perceptions. Pour ce faire, les universitaires doivent commencer par travailler sur des situations réelles, qui interviennent dans des lieux réels.

Ces avertissements valent-ils pour la France ? A plusieurs égards, oui, et d’ailleurs pour bien d’autres pays aussi. Croit-on suffisamment, aujourd’hui, en la compréhension fine et contre-intuitive des phénomènes internationaux, ou ne cherche-t-on qu’à conforter des « standard operating procedures », comme on dit dans l’analyse décisionnelle ? Les analyses exprimées par les universitaires sont-elles suffisamment écoutées par les décideurs ? A qui, à quoi doivent-elles d’ailleurs servir, pour reprendre une question déjà posée dans un article publié (F. Charillon, « Les relations internationales, science royale ? », in Th. Balzacq, F. Ramel, Traité de relations internationales, Sciences Po, 2014). « A personne sinon au bien commun de la connaissance et à sa communauté épistémique, car la science (même sociale), pour être pure, doit être libre des contraintes de pouvoir ? Aux autorités publiques qui financent les recherches, car le payeur est le commandeur,  et l’aide à la recherche participe d’une politique publique contribuant à la performance, au développement et à la protection d’une société ? ». Nos relations internationales, à l’université, traitent-elles suffisamment de « situations réelles dans des lieux réels » ? Chercher à découpler, ici, l’intérêt de l’approche intellectuelle de l’intérêt stratégique d’un pays dans son ensemble, est dangereux, sauf à estimer qu’une grande démocratie doit absolument se caractériser par une analyse internationale déconnectée de toute utilisation concrète possible…

En la matière, la France, comme d’autres, a connu des hauts et des bas. Des avancées ont eu lieu, elles ont été remises en cause, et ce cycle continuera. Une réflexion « œcuménique » sur ce point, mêlant acteurs et décideurs, demeure urgente.