mercredi 17 juillet 2013

La puissance à la française : « Smart hard power », ou puissance de différence



La puissance à la française : « Smart hard power », ou puissance de différence


militaires et universitaires ont en commun de voir chaque année dans le 14 juillet un moment de bilan. Les premiers parce qu’en ce jour de fête nationale, leur défilé marque l’heure des hommages et des rétrospectives. Les seconds – toutes proportions gardées car dans un métier ô combien différent… - parce que cette date scelle la fin d’une année académique qui s’évalue traditionnellement, dans son analyse, de septembre à juillet bien plus que de janvier à décembre. En ce 14 juillet donc, que retenir de la séquence stratégique « 2012-2013 » qui vient de s’écouler ?

Cette séquence fut incontestablement marquée sur le terrain par l’opération Serval. Et à bien des égards, cette dernière constitua une confirmation. Confirmation, après la Côte d’Ivoire et la Libye en 2011, que la France continuait de compter sur l’échiquier politique international, en grande partie du fait de la capacité de son outil militaire à faire la différence sur le terrain, sans pour autant avoir les moyens de son grand allié américain, mais avec une précision et un savoir-faire enviés. Confirmation, alors, que cet outil militaire est l’un des rares à pouvoir conduire une opération aussi pointue, avec des paramètres et des types de terrains aussi diversifiés. Confirmation, enfin, que tout n’est pas idyllique pour autant. La contrainte budgétaire est là, à l’heure où les défis internationaux s’accumulent tandis que des lacunes doivent être comblées dans le domaine opérationnel. Et l'Europe, déjà en difficulté sur le plan économique, se fait toujours attendre sur le plan stratégique au point que les meilleures volontés pour la ranimer se lassent. Confirmation, donc, que l’heure est à la réflexion et à la formulation d’une puissance « à la française », tâche entamée par le Livre Blanc de 2013, autre marqueur important de cette période écoulée.

Cette puissance à la française, à quoi peut-elle ressembler, selon les critères du débat scientifique contemporain ? Laissons d’abord de côté le débat sur le qualificatif qui sied à cette puissance : ni hyperpuissance à l’américaine, ni simple puissance régionale comme nombre de ses voisins européens, ni puissance moyenne (qualificatif réservé plutôt dans la littérature académique à des pays comme le Canada ou l’Australie), sans doute en revanche puissance globale (au sens où elle entend jouer un rôle bien au-delà de son environnement géographique immédiat, et où son statut de puissance nucléaire joue un rôle fondamental dans la hiérarchie des nations) : la querelle est ici plus symbolique que véritablement sémantique. Abandonnons un instant également l’opposition entre optimistes et déclinistes sur l’évolution en cours de cette puissance, sans négliger cependant les pistes intéressantes fournies par quelques travaux de relations internationales, à l’image de la distinction pertinente entre « underachievers » (puissances ayant les capacités de jouer un rôle déterminant, sans que ce statut leur soit reconnu par la communauté internationale) et « overachievers » (puissances qui à l’inverse bénéficient de ce statut, mais n’en ont pas ou plus, en réalité, tous les instruments) – (Th.J. Volgy, R. Corbetta, K.A. Grant, R.G. Baird, Major Powers and the Quest for Status in International Politics: Global and Regional Perspectives, Palgrave McMillan, Londres, 2011).

Penchons-nous alors rapidement sur la très classique typologie animée en grande partie depuis plusieurs années par Joseph Nye, entre hard power, soft power et smart power, la première renvoyant aux instruments de coercition classiques permettant l’usage de la force, la deuxième aux instruments d’influence permettant d’amener les autres puissances à suivre les orientations désirées sans user de la force, et la troisième comme combinaison « intelligente » des deux premières, d’où cette « smart » power qui impliquerait qu’il en existe des stupid, mais qui permet surtout d’admettre enfin que hard power et soft power ne sont plus incompatibles, ni situées à deux extrémités d’un spectre. Où situer la France sur cette échelle ? Parce qu’elle dispose de cet outil militaire déjà évoqué plus haut, la France se situe clairement dans la catégorie du hard power. Parce que néanmoins ses capacités en la matière ne sont pas illimitées, parce qu’elles nécessitent à la fois d’être mises en articulation avec celles de partenaires et alliés, et d’être appuyées en cela par une capacité d’entraînement politique fournie par une diplomatie efficace grâce à un message convaincant, la France constitue un cas particulier que nous qualifierons de « smart hard power ». Soit une puissance dont l’outil de coercition est bel est bien au rendez-vous, mais à condition : a) de gérer convenablement (ou « intelligemment »), par la complémentarité et la gestion dans le temps et le volume, ses limites du moment, et b) de doter son action d’une légitimité internationale fondée sur le droit, les Nations Unies, le soutien d’une large partie de la société mondiale.

Quelle est la marge de manœuvre, quelle est l’ambition possible, quel est l’horizon raisonnable, d’un tel smart hard power ? Sa vocation n’est naturellement pas de prétendre imposer sa volonté à toutes les régions du globe. Sa marge de manœuvre n’est pas non plus de lancer seul des guerres majeures sans considération de leur durée, de leur échelle, de leurs dérives possibles. Elle est clairement, en revanche, de « faire la différence » dans une situation de blocage, parce que sa volonté politique permet de l’assumer quand les autres font défaut, et parce que son outil militaire, en dépit de ses limites, le permet. La traduction française – au sens linguistique comme au sens politique – de ce smart hard power, serait donc la puissance de différence, à la fois comme puissance de faire la différence de par ses moyens, et puissance différente de par sa ligne politique. Par son intervention très ponctuelle dans la sortie de crise ivoirienne d’avril 2011, par son volontarisme politique dans l’opération libyenne de la même année, par les résultats rapidement obtenus au Mali en 2013, et toujours accompagné d’autres forces, l’outil militaire français a bien été en mesure de faire la différence. Indépendamment du débat politique et du jugement que l’on pourra porter sur la décision prise, et sans négliger les limites observées, ce constat, sur les trois cas mentionnés ici, s’impose. Il nous donne un indice fort sur la puissance à la française d’aujourd’hui, comme smart hard power selon les catégories de nos amis anglo-saxons, ou comme puissance de différence, si l’on veut innover par rapport à ces dernières.



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