F. Godement, Que veut la Chine ? De mao au capitalisme, Odile Jacob, paris, 2012
Ce nouveau travail de
François Godement, dont l’expertise sur la Chine n’est plus à présenter, dresse
un panorama vaste des maux et atouts du pays, depuis les aspects sociaux,
administratifs et économiques jusqu’à la vision internationale et stratégique
chinoise. Repartant de l’affaire Bo Xilai pour en expliquer les ressorts et
voir de quoi elle est le symptôme, François Godement nous explique en quoi ce
géant collectiviste est aussi « la société la plus individualiste
d’Asie », aux ambitions exacerbées, aux transitions brutales. Pays riche
au peuple pauvre (p.35), l’Empire du milieu souffre d’un fossé social immense,
illustré entre autres par une course vers le bas dans les salaires (qui
transforme le pays en usine du monde), coexistant avec un marché du luxe devenu
le premier de la planète.
Au centre de ces
contradictions : le parti communiste chinois, ses codes, ses complexités,
ses blocages aussi. Souvent décrit comme omnipotent, il n’en est pas moins
exposé à une opinion publique en cours d’acquisition rapide d’une redoutable
compétence politique, qui impose la prise en compte de deux modèles extérieurs
d’évolution possible pour la Chine : Singapour et Hong Kong, reposant
ainsi la question de la viabilité d’un système à deux vitesse ou plus
exactement d’un schéma « un pays, plusieurs systèmes ».
On sera particulièrement
sensible aux derniers chapitres de l’ouvrage, traitant de stratégie et de politique
étrangère. Depuis le « tournant » de 2009 (p.163) qui voit une
exaltation militaire sans précédent, la multiplication des incidents
territoriaux en mer de Chine du Sud, et surtout l’adoption par Pékin d’une
posture autoritaire qui semble clore le chapitre d’un effort de diplomatie
publique, le monde s’interroge sur les intentions internationales du géant
asiatique. Que ce changement de style provienne d’une fragmentation
bureaucratique, d’une reprise en main de l’armée ou de groupes de pressions
nationalistes pesant sur les dirigeants civils, il se solde par une
modification du rapport de la Chine au monde, et particulièrement à son voisin
japonais, comme à son concurrent américain. F. Godement estime ici qu’il y a
« erreur de diagnostique stratégique », et qu’il convient de
redécouvrir l’héritage stratégique chinois, en réalité double comme le
suggérait en son temps Alastair I. Johnston (Cultural Realism : Strategic Culture and Grand Strategy in Chinese
History, 1998) : parallèlement à la culture belligène fondée sur le
réalisme et incarnée par Sun Tzu, il existe une culture accommodatrice héritée
de Confucius et Mencius (p.222). A la tentation souverainiste d’une sphère
d’influence, s’oppose aujourd’hui la nécessité d’une intégration au monde.
L’énigme chinoise reste naturellement
entière, mais ce travail nous fournit de nombreuses clefs de compréhension,
avec l’avantage énorme d’une grille de lecture intégrant les multiples
dimensions, internes et externes, de cette équation stratégique aujourd’hui
centrale. L’exercice était difficile, mais l’auteur nous a habitués, depuis plusieurs
années, à l’exécuter efficacement.