Action extérieure: les Etats-Unis à un tournant de crédibilité
Plusieurs
éléments suscitent
actuellement le trouble chez
les alliés (principalement non européens) des Etats-Unis.
Le
premier d'entre eux est la perception d'un manque de vision
stratégique sur des enjeux clefs. Le Moyen-Orient, et en particulier
l'Egypte, illustrerait cette lacune : face
à la destitution de Hosni
Moubarak en 2011, Barack Obama avait semblé se rallier in
extremis au soutien d'une
révolution démocratique certes louable mais qui du point de vue de
la Realpolitik mettait
à bas un allié de longue date de l'Amérique ; dans la période
qui a suivi, il a soutenu les Frères musulmans certes victorieux des
urnes mais dont l'exercice du pouvoir allait rapidement exaspérer
une grande partie du pays, notamment ses éléments les plus en lien
avec le monde occidental ; pour finir, l'élite du pouvoir
américain a montré des signes de division importants sur le fait de
savoir s'il fallait ou non qualifier de coup d'Etat la destitution du
Président Morsi. Pour résumer le niveau de confusion qui
caractérise aujourd'hui la relation entre Washington et l'acteur
qui fut l'un des piliers de
sa politique moyen-orientale, il suffit de rappeler que des foules
égyptiennes défilent avec colère dans la rue pour accuser le
président américain d'être le complice... des Frères Musulmans.
Le
deuxième élément est la
perception d'une faiblesse face aux acteur émergents ou résurgents
de la scène mondiale, y compris sur des situations dont la gravité
n'est pas à démontrer. C'est naturellement le dossier syrien, et le
sentiment d'un succès de la diplomatie russe, qui symbolisent ce
point. Face à
l'utilisation d'armes chimiques contre des populations civiles, le
leadership du Président Obama aurait été pris en flagrant délit
de faute tactique, pour avoir cherché à obtenir le vote à haut
risque d'un Congrès incertain, alors même que la décision de
frapper était apparemment
prise. On connaît la suite, et même si l'initiative russe est loin
de constituer le dernier mot de ce feuilleton tragique, même si
cette prolongation de
dernière minute obtenue par Vladimir Poutine
tire probablement d'affaire
Washington à bien des égards, c'est tout de même un sentiment de
malaise qui prévaut. Que vaut la détermination américaine,
s'interroge-t-on ailleurs, si celle-ci se paralyse elle-même devant
pareil manquement aux droits de l'homme ? En cas de trouble
grave touchant les alliés asiatiques de l'Amérique, quelle attitude
ou quelle marge de manœuvre aurait Barack Obama ?
Troisième
élément enfin, c'est également sur
le plan intérieur que
l'Amérique semble affaiblie. Alors même qu'il s'agit de rassurer
les alliés asiatiques mentionnés ci-dessus, le shut down
(une « fermeture »
de l'administration américaine faute d'accord budgétaire), pourrait
remettre en cause la visite de John Kerry et Chuck Hagel en Asie (au
Japon et en Indonésie pour le sommet de l'APEC où doit se rendre le
Président Obama). La simple
évocation de ce scénario (déjà survenu en 1995 sous Bill Clinton)
d'une annulation de visite internationale primordiale pour cause de
chaos interne, ne contribue pas à apaiser les esprits.
Au
final, les alliés asiatiques de l'Amérique sont inquiets, une
partie des alliés du Golfe ne s'est pas remise du lâchage de Hosni
Moubarak, d'autres (comme le Qatar) et parfois les mêmes (comme
l'Arabie) se remettent difficilement du recul syrien, Israël accepte
mal (c'est un euphémisme) le début de dialogue avec l'Iran... Il y
a donc désormais crise de crédibilité de la diplomatie américaine.
Celle-ci provient davantage d'une crise de lisibilité, que de
cohérence sur le fond. Car la prudence sur le dossier syrien, in
fine, s'explique. Car la reprise
du dialogue avec l'Iran, qui semble correspondre à une tendance de
fond et au début d'un réel processus, peut
avoir sa logique, certes
complexe. Car encore la
comparaison entre la crise syrienne et une éventuelle crise
asiatique, ne fait pas sens (les Etats-Unis ont des accords
contraignants avec leurs plus proches alliés asiatiques comme le
Japon ou Taïwan, pas avec le peuple syrien). Mais le story-telling
importe en relations
internationales, et la crédibilité est un attribut majeur de la
puissance. A cet égard, Washington se trouve donc face à un virage
devenu difficile à négocier.