H. araujo, J.P. Cardenal, Le siècle de la Chine. Comment Pékin refait
le monde à son image, Flammarion, Paris, 2013
Traduit en français en 2013, cet ouvrage de 2011 est une
enquête journalistique, à la recherche du fil conducteur qui permettrait
d’appréhender la conquête chinoise de ressources et de matières premières.
L’ouvrage – accusateur – montre un Empire du Milieu prêt à piller les pays du
Sud les plus vulnérables (Birmanie, Egypte, Laos, Pérou, Venezuela, Soudan,
Angola, Asie Centrale…), dans un système qui provoque des tensions graves et
profite d’abord aux élites. Mais plus qu’une analyse d’ensemble, on trouvera
surtout là une galerie d’anecdotes microsociales, faite d’avoir pu recueillir
les réactions des premiers acteurs concernés : les dirigeants chinois.
W. Anthiolis, Inside Out India and China. Local Politics go Global, Brookings, Washington D.C., 2013
Un voyage américain (et en famille) chez les deux grands
émergents, pour le directeur exécutif de la Brookings, qui en revient avec une
présentation pédagogique des rapports de force locaux, dans les arcanes desquels
l’Occident ferait bien d’investir. Tel est en effet le message principal de ce
livre. Passé les rappels sur la force économique de la Chine et de l’Inde,
passé également le récit de voyage (émaillé de comparaisons systématiques avec
les Etats-Unis), c’est à une analyse prospective des relations extérieures avec
des entités ou échelles d’analyses locales (sur le mode de l’ouvrage classique
de Brian Hocking, Localizing Foreign policy, 1993) que nous convie W.
Anthiolis. Les deux géants ne sont pas des blocs monolithiques. Ils sont
constitués, pour la Chine, de Promised
Land (sur la côte, Guangdong, Shanghai, Jiangsu Zhejiang, Hong Kong), de Heartlands (Xi’an, Chongqing, Sichuan)
et de Badlands, le far West chinois (Xinjiang, Tibet,
Mongolie Intérieure) ; et pour l’Inde, de Forward States (Maharashtra, Gujarat, Tamil Nadu), de bacward
States (Bihar, Uttar Pradesh), et de swing States (Andhra Pradesh,
Bengale occidental). Chacun de ses Etats à son homme fort (ou son équivalent
féminin). Le monde a appris à connaître Bo Xilai à Chongqing par son médiatique
procès. Il découvre désormais l’homme fort du Gujarat, Narendra Modi,
aujourd’hui en tête des sondages avec le BJP pour les élections générales
indiennes. Il lui reste à connaître mieux Nitish Kumar au Bihar, ou la
charismatique Dravida Munnetra Kazhagam au Tamil Nadu. L’avenir de l’ordre
multilatéral, pour l’auteur, passe d’abord par une meilleure interaction avec
ses acteurs là, qui décident des échanges, des investissements, des équilibres,
à des échelles qui dépassent celles de bien des pays européens.
W. Pal Singh Sidhu, Pratap Bhanu Mehta, B.
Jones, Shaping the Emerging World. India and the Multilateral Order,
Brookings, Washington D.C., 2013.
Comment le géant indien entre-t-il dans l’ère de la
diplomatie multilatérale ? Comme
Rule Taker, Rule Breaker, ou Rule Shaper
voire Rule Maker ? Telle
est la problématique de cet ouvrage collectif qui rassemble des experts
nord-américains, européens et indiens. A partir d’une posture internationaliste
sous Nehru, transformée en multilatéralisme axé sur le tiers-mondisme et le
non-alignement à partir des années 1960, puis en néo-internationalisme cette
fois défensif à partir de la fin des années 80 et de la fin de la guerre
froide, l’Inde peut-il adopter un multilatéralisme responsable ? puissance régionale incontestable,
parfois belliqueuse (Goa en 1961, la guerre avec la Chine en 1964, avec le
Pakistan en 1965, le Bangladesh en 1971, l’annexion du Sikkim en 1975…),
obsédée par la comparaison avec la Chine d’un côté, la tension avec le Pakistan
de l’autre, cette puissance nucléaire désormais assumée regarde aussi sur sa
côte est vers l’ASEAN, et sur sa côte ouest vers le Golfe et le Moyen-Orient.
Sa puissance économique nouvelle change la donne, mais de quelles compétences
et ressources politiques le pays dispose-t-il pour affirmer sa présence dans le
jeu prenant et couteux des circuits multilatéraux, avec de surcroît une opinion
publique parfois hostile aux concessions, et des acteurs économiques nationaux importants
qui défendent leurs intérêts ? Dans ses contentieux régionaux, l’Inde a eu
une fibre multilatérale réticente (sur le Cachemire ou le Rann de Kutch avec le
Pakistan ou sur la frontière avec la Chine). Dans sa stratégie maritime encore
incertaine (voir la Maritime Strategy
de 2009 et les rapports annuels du ministère indien de la défense), l’heure est
davantage à la course à la nucléarisation des océans avec le Pakistan, qu’aux
règlements internationaux. Déçu initialement par les arbitrages ou
non-arbitrages de l’ONU sur le Jammu & Cachemire, New Dehli s’est défié des
traités portant sur le nucléaire, et s’est retranché vers une posture souverainiste,
que l’on a retrouvée sur la Libye en 2011. Avec 6.850 soldats et un millier de
policiers sous commandement onusien en 2013, l’Inde semble pourtant jouer le
jeu des opérations de paix, mais sans stratégie claire, selon Richard Gowan et
Sushant K. Singh (chapitre 10). Cette posture semble résumer un comportement
qui prône un multilatéralisme ouvert mais à condition qu’il mette l’occident et les émergents sur un pied
d’égalité (comme à Copenhague sur le climat en 2009). Un comportement
international, finalement, qui réagit aux compétitions avec Pékin et Islamabad
davantage qu’il ne construit sa vision.
J-L. Racine (dir.), Asie, La Documentation française, collection Mondes émergents,
Paris, 2013
Comme chaque année, l’annuaire Asie de la Documentation française
mobilise des experts de haut niveau pour décrypter l’actualité récente d’une
région plus que jamais au cœur des relations internationales. Quatre grands
acteurs sont d’abord analysés (la Chine évidemment, le Japon, l’Inde et l’Indonésie),
suivis par deux « focus » (cette année Birmanie et Afghanistan) et
deux papiers transversaux de relations internationales (le pivot d’Obama et
l’Asie face à la crise économique occidentale). Les dynamiques internes et
externes sont toutes deux analysées (voir par exemple Eric Fracon sur
l’Indonésie comme pivot du Sud-Est asiatique). On retiendra entre autres
analyses la triple crise afghane vue par Gilles Dorronsoro (une crise
économique liée au désengagement occidental, une crise institutionnelle avec la
fin du mandat Karzaï, et une crise sécuritaire avec la poussée des Talibans),
et les motivations du pivot interprétées par Jean-Loup Samaan : un
contexte diplomatique qui impose l’Asie comme région centrale, un contexte
domestique qui fait traditionnellement de la Chine un test de la politique
étrangère présidentielle face aux attaques partisanes, et enfin un contexte
bureaucratique dans lequel un pivot asiatique vient renforcer l’armée de l’air
et la marine, tandis que les guerres afghane et irakienne avaient privilégié
l’armée de terre.
St. Balme, La tentation de la Chine. Nouvelles idées
reçues sur un pays en mutation, Le Cavalier Bleu, Paris, 2013
Comme le veut la formule de cette collection « Idées
reçues », un auteur reprend les clichés véhiculés sur un enjeu ou un pays
donné, pour les déconstruire par une approche pédagogique, par un essai
personnel, et par des éléments de recherche. Ici, c’est à nos propres
perceptions occidentales de la Chine que s’attaque Stéphanie Balme. Sont ainsi
passées au crible les croyances de nos imaginaires (sur une civilisation
inaccessible, arriérée et confucianiste), nos images de l'Etat (totalitaire
mais plus communiste, arbitraire, corrompu et ne respectant pas ses promesses),
et de sa puissance supposée fragile. On retient entre autres l’excellent
chapitre, nourri d’une grande culture sinisante, sur le confucianisme, la
présentation éclairant de l’enjeu que constitue Hong Kong, et les passages sur
le rapport de Pékin au monde, en particulier au spectre du soft power ou du Tibet. Plus qu’une introduction à « l’Orient
compliqué », c’est un point d’actualité géopolitique à l’usage de
l’étudiant comme du décideur qui nous est ainsi proposé.