Paru dans Ouest-France du 2-12-2015
Les attaques
subies par la France ce 13 novembre dernier ont suscité une émotion légitime,
et appellent des réponses fortes. Pour autant, elles n’invalident pas un
certain nombre d’analyses stratégiques établies préalablement, qu’il serait
dangereux de renier précipitamment.
En premier lieu, si la politique étrangère de la France
doit incontestablement s’adapter à une nouvelle donne, le lien entre cette
politique-là et les attentats reste à démontrer. On peut, on doit, évoquer les
risques inhérents à l’interventionnisme militaire de la France dans les
dernières années (du Mali à la Syrie), ou sa relation avec plusieurs Etats du
Golfe. Mais on doit aussi reconnaître que d’autres Etats européens comme
l’Allemagne ou la Belgique sont également menacés aujourd’hui, alors qu’ils
affichent des postures internationales fort différentes.
Ensuite, le phénomène « Etat islamique » (comme
le phénomène jihadiste en général) est d’une grande complexité, et une solution
uniquement militaire à cette question n’existe pas, pas plus qu’une perspective
de victoire à court terme. La France, comme les Etats-Unis et d’autres, ont
jugé non-souhaitable d’envoyer des troupes au sol en Syrie : le terrain
syrien ne s’est pas subitement modifié dans la nuit du 13 novembre.
le régime de
Damas, appuyé par Moscou qui l’a sauvé à plusieurs reprises, a été jugé
responsable du désastre syrien autant que
Daech. Que l’avenir de son chef importe moins à l’heure actuelle, cela est sans
doute vrai. Que la Russie modifie son comportement, cible enfin l'Etat
islamique davantage que les autres groupes d’opposition syriens, pour se
réinsérer dans un dialogue stratégique avec l’Occident après son coûteux
isolement ukrainien, voilà qui ouvre quelques pistes. Qu’il faille, pour une
politique étrangère sérieuse, parler avec tous les acteurs qui comptent, c’est
une évidence : on sait ce que coûte la posture néo-conservatrice
consistant à ne dialoguer qu’avec ceux qui nous plaisent. Pour autant, le
passif de Bachar al-Assad d’une part, l’agenda politique de Vladimir Poutine de
l’autre, restent probablement incompatibles avec la vision française, au-delà
de quelques opportunités tactiques.
Enfin et surtout, la France se veut une puissance de
proposition, capable d’élargir le champ de vision stratégique. Au-delà de
l’émotion du moment, c’est bien à cela qu’il faut procéder. Proposer une vision
inclusive des maux du Proche-Orient et des déséquilibres sécuritaires
internationaux, ne pas réduire les enjeux à l’avenir d’un seul régime, ne pas
remplacer la finesse d’analyse par quelques slogans, ne pas oublier que la
France n’est pas seule à être touchée par le terrorisme, et que le soutien
international dont elle a bénéficié ne doit pas se transformer en « deux
poids deux mesures » par relativisation des maux des autres, sont autant
d’impératifs en ces temps d’épreuve, pour éviter de nouvelles étranges
défaites.