Benoît Durieux (dir.), La guerre par ceux qui la font. Stratégie et incertitude, Editions du Rocher, Monaco, 2016
L’ouvrage dirigé par le général Benoît Durieux, directeur
du Centre des hautes études militaires (CHEM – qui forme les futurs
responsables des armées), constitue une publication importante à plus d’un titre.
En premier lieu, il permet de renouer avec – ou de confirmer – une tradition de
réflexion militaire française sur la guerre et la stratégie : les auteurs
de ce volume sont des officiers du CHEM qui s’expriment ici à titre personnel, en
marge de leur formation, ce qui mérite d’être salué. Ensuite, le niveau de
formation, de réflexion, d’expérience des auteurs sollicités ici est naturellement
précieux à tous ceux qui travaillent sur la guerre. L’auteur de ce blog, qui
avait eu la chance d’être invité en 2013 par le général Duquesne, alors patron
de l’IHEDN, à participer à une rencontre franco-chinoise à Pékin, au sein d’une
délégation dont il était le seul civil, avait déjà été témoin de l’extrême
maîtrise des dossiers, et de la qualité de réflexion critique de ceux qu’il est
convenu d’appeler les « chemistes ». Enfin, les présentes contributions
jettent de nombreuses passerelles en direction du monde universitaire : les
papiers rassemblés ici à la fois intègrent très largement les grands débats
académiques de war studies, et s’en
démarquent (car bien évidemment le métier ni les finalités ne sont les mêmes) pour
en être parfaitement complémentaires.
L’ouvrage est construit en trois partie, traitant de trois
temps : celui du doute (l’incertitude), celui de la sagesse (stratégique),
celui de l’action (les opérations militaires globales). L’introduction par
Benoît Durieux (par ailleurs auteur de plusieurs travaux de référence, dont une
thèse doctorale ensuite publiée, sur Clausewitz – à l’époque où l’on n’attribuait pas encore de
doctorats sans thèse…) pose la problématique en insistant d’abord sur les « freins
à la guerre ». Freins politiques et économiques d’abord, qui rendent la guerre
coûteuse et impopulaire ; freins proprement militaires ensuite : il
est de moins en moins cher d’entraver l’efficacité des systèmes d’armements les
plus chers ; freins moraux enfin, en une époque où la guerre reste
considérée comme la pire des solutions. Mais ce déclin de la guerre signe d’abord
la fin d’une institutionnalisation et d’un contrôle de la violence. cette dernière est désormais le fait d’un
plus grand nombre d’individus et non plus de seuls professionnels ;
expulsée jadis de la citée pour être confinée au champ de bataille, longtemps limitée
dans son emploi par la poursuite des intérêts politiques dont elle devait être
l’instrument, elle rejette aujourd’hui ses chaînes, pour reprendre le titre de
l’introduction. « L’asymétrie est devenue la règle » (p.15) dans un
espace désormais mondialisé où la technologie permet des frappes à distance, et
où un continuum s’est établi entre combattants et non combattants. La « pulvérisation
de la violence » s’est imposée. La guerre pourtant, rappelle Durieux, est toujours
le fait des hommes, et – grosso-modo – toujours pour les mêmes raisons, déjà
identifiées par Thucydide : la peur, l’honneur (ou la croyance, les
valeurs), l’intérêt.
Les articles qui suivent sont suffisamment variés pour que
chacun y trouve son compte, et passent en revue de nombreux concepts, revisités
par des acteurs dont la théorie n’est pas le métier (même si beaucoup d’entre
eux n’ont rien à envier aux théoriciens). Asymétrie, surprise, transgression, foquisme
et révolution (dans un parallèle original entre Guevara et Ben Laden), Clausewitz
au Mali, politiques publiques de la défense (notamment rédaction comparée d’un
Livre Blanc), dissuasion (comme intimidation, au-delà du nucléaire), nouveaux
espaces (l’Arctique), stratégie des moyens, light
footprint et ses limites parfaitement analysées, importation américaine du French way of warfare, lutte
contre-insurrectionnelle, renouveau du rezzou
en milieu désertique, mis en comparaison avec le swarming (attaque en essaim) maritime, et caractère transposable (ou
plutôt non transposable) des concepts stratégiques américains à la puissance française (ce
qui lancerait un bel agenda de recherche sur le fonctionnement de l’OTAN…) : il
ne manque pas grand-chose, et nous tenons-là le manuel français d’études
stratégiques tant attendu.
D’un point de vue universitaire, osons dire que l’exercice
est rafraîchissant par son éloignement des séquences de références
consacrées. Aux figures imposées se substituent des figures libres qui convoquent
allègrement, dans le même volume, che
Guevara, Gilles Kepel et T.E. Lawrence, pour un étrange melting pot dont l’originalité laisse à penser que c’est de ce type
de hors-piste que viendra le salut.
La guerre par ceux qui la font, les livres par ceux qui
les lisent, le terrain par ceux qui y vont : saine trinité pour un
renouveau des études stratégiques.
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