Une Méditerranée des think tanks et de la recherche
12 mars
2012
Le dialogue politique
en Méditerranée, pour les européens,
est rendu à la fois indispensable et difficile par les récents printemps arabes
(voir note du 5 mars 2012). Au niveau interétatique, il doit éviter à la fois
les sujets les plus délicats (comme le conflit palestinien), et les sujets trop
techniques (comme la dépollution de la Méditerranée) qui jurent avec le
contexte ambiant, occupé par des drames politiques. Restent, pour ce niveau
intergouvernemental, les sujets sociaux, qui doivent mettre en scène des
projets concrets de développement, avec des engagements chiffrés des pays de la
rive nord.
Il est possible en
revanche d’aborder les questions à la fois politiques, techniques sociales (et
donc de développement), en les liant même entre elles, à un autre niveau : celui des sociétés civiles, et plus
particulièrement des échanges entre experts et/ou chercheurs. Plusieurs outils sont mobilisables pour
ce faire.
1-
Une meilleure mise en relation des think tanks
européens qui travaillent sur la Méditerranée. Les européens
comptent de nombreux think tanks spécialisés sur la Méditerranée, qu’il s’agit
aujourd’hui de mieux coordonner. Si nous connaissons en France l’Arab Reform
Initiative, CapMena, Ipemed, la FMES, l’IMES, les travaux de l’amiral Dufourcq
(autour du GRUM à l’IRSEM notamment), et d’autres encore… les autres européens ne sont pas en reste non plus
(l’IEMed ou FRIDE en Espagne, MEDEA, le Mediterranean Institute de Malte, Foundation
for Mediterranean Cooperation en Grèce…). Mais chacun développe ses réseaux individuels
et l’ensemble ne fait pas masse. Sans prétendre régir ces think tanks par le
haut ni même les superviser (d’autant que leur diversité fait leur valeur), un
état des lieux s’avère nécessaire dans cette période cruciale, ne serait-ce que
pour mieux les soutenir, et dessiner
ainsi les premiers contours d’un ensemble européen d’expertises
méditerranéennes.
2-
Réinvestir le réseau Euromesco. Créé en 1996 pour soutenir le processus de
Barcelone par le processus de confidence
building qui pourrait émerger du rassemblement des experts et chercheurs
des deux rives, ce réseau compte aujourd’hui 61 instituts de recherche dans 33 des
43 pays de l’UPM, plus 26 autres instituts ayant statut d’observateurs. Après
quelques années de sommeil relatif, il a retrouvé depuis peu une activité de
qualité, qui aboutit à la production de nombreux papiers très policy oriented (voir www.euromesco.net).
La France n’y est pas suffisamment présente en dépit de l’adhésion de trois
acteurs français (CERI, FMES, IFRI). Un renforcement de cette présence française
d’une part (qui pourrait s’appuyer sur la présence à Paris de l’Institut
d’Etudes de sécurité de l’UE), un
réinvestissement de bruxelles
dans le réseau d’autre part, sont des pistes explorables, avec l'objectif de revivifier un tissu sud-méditerranéen de
think tanks, à l’heure de la transition politique.
3-
Enfin, cet
objectif, du point de vue plus spécifiquement français, devrait sans doute se
doubler d’une redynamisation et d’un
redéploiement des IFRE (instituts français de recherche à l’étranger),
fortement présents dans la zone méditerranéenne mais très rationalisables, ou à
la coordination très améliorable, pour dire le moins. L’Institut français du
Proche-Orient (IFPO) de Damas- Beyrouth- Amman-Alep-Jérusalem, le Centre
d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) au
Caire et à Khartoum, le Centre français d'archéologie et de sciences sociales
de Sanaa (Cefas), le Centre Jacques Berque (CJB) de Rabat, l’Institut de
recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc) de Tunis, l’Institut français
d'études anatoliennes (Ifea) d’Istanbul, plus le CFRJ de Jérusalem, l’IFRI de
Téhéran, constituent aujourd’hui un réseau qu’il est possible de mieux
exploiter, pour revoir nos échanges avec de nouveaux partenaires sud-méditerranéens.
Sans préjuger de la meilleure manière d’y parvenir, au moins une étude (ou un rapport)
pourraient-ils être lancés sur cette question.
Un tel réinvestissement
pourrait tenir compte des lignes de
conduite suivantes :
-
Renouveler les partenariats aujourd’hui existants, au-delà des seuls
interlocuteurs francophones. Des sciences sociales arabophones se sont
développées en marge des réseaux francophones connus, au Maghreb, au Liban ou
en Israël. Des nouveaux experts ont été repérés dans les dernières années, en
Egypte, Turquie, Jordanie, Syrie, Palestine bien sûr, dans le Golfe ou
ailleurs. Des communautés d’experts sont à construire ou reconstruire en Libye
ou en Irak. Il importe de les soutenir.
-
Tester, à ce
niveau des think tanks, le nécessaire
renouveau d’une diplomatie publique (et par là même la reconfiguration de
notre dispositif culturel, repensé dans cette perspective de dialogue et
d’accompagnement).
-
Enfin
utiliser cette piste des think tanks pour retrouver
l’esprit d’une track-two diplomacy,
à la manière de la diplomatie alternative qu’avait constitué l’initiative de
Genève pour tenter de sortir, en 2003, de l’impasse israélo-arabe.
Ce nouveau multilatéralisme par le bas en Méditerranée
aurait l’avantage de contourner les blocages étatiques, de prendre acte des
prises de pouvoir des sociétés tels qu’on a pu les observer en 2011, et
d’encourager l’avènement de nouvelles élites sud-méditerranéennes en lesquelles
il est indispensable d’investir aujourd’hui.