Convention de l'ISA 2012 à San Diego
retrouvez la suite sur le site de l'IRSEM -53e Convention de l’International Studies Association
San Diego – Avril 2012
Du 1er
au 4 avril 2012 s‘est tenue à San Diego (Ca.), la 53e convention
annuelle de l’International Studies Association (ISA), qui regroupe
traditionnellement – et presque systématiquement en Amérique du Nord – la
communauté des chercheurs spécialisés sur les questions internationales et
stratégiques. Avec près de 500 panels réunissant chacun 4 à 8 intervenants
issus de la plupart des pays du globe (de l’étudiant doctorant jusqu’aux
auteurs vedettes du marché), cette manifestation constitue depuis longtemps
l’un des plus importants rendez-vous annuels en la matière.
Outre ses
« invariables » (de la politique étrangère et de défense américaine
juqu’aux gender studies en passant
par les questions environnementales et les débats sur la théorie des relations
internationales), l'événement
présente chaque année des tendances qu’il n’est pas inutile d’observer pour se
donner une idée des débats structurants du moment, dans un monde anglo-saxon où
nombre des papiers présentés dans une telle enceinte se transforment en
articles de presse puis en ouvrage à succès. La cuvée 2012 était comme à l’habitude
riche d’enseignements. L’étude des politiques américaines reste omniprésente,
celle de la stratégie chinoise, toujours fortement développée. Mais si la
montée en puissance des panels consacrés aux stratégies des pays du sud était
patente, l'Europe avait presque disparu des débats, à quelques exceptions près.
Les soulèvements arabes ont fait l’objet de nombreuses présentations, qui insistaient
trop peut-être sur le rôle prêté aux réseaux sociaux dans cette affaire. L’enjeu
iranien et la cyberdéfense étaient également à l’honneur cette année. Les
questions militaires enfin, ou les retours sur les confits en cours, ont fait
l’objet de traitement parfois très précis, technique, grâce à des panels
réunissant chercheurs, militaires, diplomates et autres opérationnels. On ne
peut qu’inciter nos lecteurs à se rendre sur le site de l’organisation (www.isanet.org), où l’on trouvera le programme imposant de ces
discussions scientifiques, ainsi qu’une page « archives » qui permet
de télécharger les papiers (http://www.isanet.org/pubs/paper-archive.html).
L’IRSEM
était représenté cette année à la fois par ses chercheurs statutaires (à
l’image de l’intervention de Barbara Jankowski sur l'opinion publique française
face au conflit afghan), et par les doctorants de son séminaire jeunes chercheurs, soutenus par le ministère de la défense.
« Cheese-Eating Surrender Monkeys »?
Reassessing the French Contribution to International Security
En ouverture,
le professeur britannique Theo Farrell s’explique sur le choix d’un titre pour
le moins provocateur : la France est souvent caricaturée dans le débat
anglo-saxon, parfois conspuée comme le rappelle cette invective reprise (des
Simpsons…) par les néo-conservateurs américains lors de la crise irakienne de
2002-2003, mais pourtant incontournable comme allié stratégique. Un point
s’imposait donc sur son action importante, dix ans après ce French bashing.
Pour
ouvrir les débats, Frédéric Charillon soulève trois questions. 1- La France
compte-t-elle toujours en tant qu’acteur international ? Evidemment oui,
comme en témoigne encore l’actualité récente (Libye, Côte d’Ivoire…), sans
parler de sa présence militaire mondiale. Mais elle appartient à un ensemble
qui doit s’affirmer comme acteur stratégique : l'Union Européenne. 2- La
France est-elle devenue, aux yeux des observateurs étrangers, un acteur
« normal », au processus décisionnel conventionnel ? La réponse
est non : qualifiée jadis de « monarchie nucléaire » (Samy
Cohen), elle reste une énigme pour ses alliés, avec son système d’action
extérieure ultra-présidentialisé et ses focalisations géopolitiques comme
autant de domaines réservés (afrique,
afrique du Nord, Liban…). 3-
Enfin, appliquons au cas français la célèbre question méthodologique que James
Rosenau, politiste américain disparu en 2011, posait systématiquement à ses
étudiants : « Of what is it an instance ? ». De quoi la
France est-elle le nom, sur le plan des problématiques stratégiques ? Plus
encore que d’autres peut-être, la France illustre la difficulté qu’il y a, dans
le monde actuel, à transformer des outils d’influence classiques en atouts
stratégiques modernes et proactifs. Car la présence ne garantie plus
l’influence, la dissuasion n’offre plus toutes les sécurités, et la singularité
n’assure plus systématiquement le leadership.
Pascal
Vennesson offre ensuite au public une étude minutieuse des cadres
d’intervention militaire privilégiés par la France. Il rappelle ainsi au public
américain venu assister nombreux à ces débats que c’est bien l’OTAN qui
constitue le premier cadre, pour plus de 50% des troupes françaises engagées,
et ce depuis de nombreuses années, bien avant le retour en 2009 dans les
instances intégrées. Avec 30% (bien plus que pour les britanniques), le cadre purement national vient en deuxième
position, le cadre onusien en troisième (9%), le cadre européen en quatrième
seulement (5%), en dépit de la rhétorique française telle que perçue par ses
alliés.
Olivier
Schmitt, jeune chercheur de l’IRSEM qui a pris une part importante dans la
tenue de ce débat public, dresse un panorama méthodique de rôle de la France
dans les questions de sécurité internationale, depuis l’enjeu nucléaire iranien
jusqu’à la lutte contre le terrorisme, en passant par son action contre la
piraterie maritime, ou sa présence militaire en Afghanistan, au Liban et
ailleurs.
William
Wohlforth, théoricien réaliste américain (International
Relations Theory and the Consequences of Unipolarity, avec G. John
Ikenberry et Michael M. Mastanduno, Cambridge University Press, 2011), revient
à son tour sur la singularité française, et l’agacement qu’elle peut produire
parfois chez ses alliés anglo-saxons. Il voit à ces réactions une double
explication : 1- La France développe une politique typiquement
illustrative d’une puissance réaliste : elle cherche à augmenter son
autonomie de façon rationnelle sur la scène mondiale, et pour ce faire, se
distancie de son grand allié américain si besoin. 2- Surtout, elle agit ce
faisant… exactement comme les Etats-Unis le feraient à sa place. D’où un
agacement mêlé d’admiration mais aussi de concurrence. Car pour W. Wohlforth,
peu d’acteurs internationaux sont capables de jouer à ce niveau, et la France,
comme l’Amérique, en fait partie.
Enfin, John
Mearscheimer, qui compte parmi les vedettes universitaires du petit monde des
relations internationales, clôture ce panel. Classé dans la catégorie des
« réalistes offensifs », volontiers pessimiste, il défraie
régulièrement la chronique par ses articles ("The False Promise of
International Institutions," International Security, Vol. 19, No.
3, Winter 1994/1995, pp. 5-49 ; "Imperial by Design," The
National Interest, No. 111, January/February 2010, pp. 16-34) ou ses
ouvrages traduits en plus de quinze langues (The Israel Lobby and U.S.
Foreign Policy, Farrar, Straus and Giroux, 2007 – avec S. Walt ; Why Leaders Lie: The Truth about Lying in
International Politics, Oxford University Press, 2011). Le propos est vif,
parfois provocateur. La France est à ses yeux en déclin, après avoir été une
grande puissance. Affairée à deux guerres coloniales « stupides » en
Algérie et en Indochine, qui suivaient elles-mêmes des choix militaires jugés
« peu judicieux » et les traumatismes de deux guerres mondiales, elle
a laissé la gestion de la guerre froide, dans le camp occidental, aux
Etats-Unis, à la Grande-Bretagne et à l'Allemagne. « Quelle avait été la
contribution française au moment de la victoire dans la guerre froide en
1989 ? », s’interroge-t-il. « Nulle ». Déresponsabilisée
par la présence américaine en Europe, la France poursuivrait aujourd’hui des
opérations qualifiées de « secondaires » comme la Libye, opérations par
ailleurs impossibles à mettre en œuvre sans « Uncle Sugar » - les
Etats-Unis, encore eux.
Nourri
par les questions nombreuses du public, le débat fut sans concession, mais
amical et teinté d’humour. « The future does not look good, so do not
pretend you are still a superpower », lance-t-on depuis le point de vue des
faucons américain. “The future does not look good indeed, so please don’t make
it worse”, répond-on du côté européen. Et l’on se promet, en se quittant, de poursuivre cette
discussion publique lors des prochaines éditions. Ainsi en va-t-il entre
alliés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire