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Z. LAIDI, Le
monde selon Obama. La politique étrangère des Etats-Unis, Champs
Flammarion, Paris, 2012
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D. SANGER, Confront
and Conceal: Obama's Secret Wars and Surprising Use of American Power, Crown
Publishing Group, New York, 2012
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J. VAISSE, Obama
et sa politique étrangère, Odile Jacob, Paris, 2012
Entre autres ouvrages récents établissant un bilan de l’action
extérieure du président Obama dans son premier mandat, retenons ce mois-ci –
avant d’en voir d’autres plus tard – deux livres français (ceux de Zaki Laïdi
et de Justin Vaïsse), et un ouvrage américain : celui du journaliste David
Sanger.
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Zaki Laïdi, dont nous connaissions les travaux récents sur l'Europe,
revient à l’Amérique avec un essai important (qui a également donné lieu à un
film, « Obama, l’homme qui voulait changer le monde »), seconde
édition remise à jour d’une mouture légèrement antérieure. Ce travail porte la
griffe académique en ce qu’il part d’une analyse sur l’acteur confronté au système,
et surtout en ce qu’il teste tout au long de la démonstration une hypothèse
théorique forte : Obama illustrerait à merveille la théorie réaliste. Il
incarne même « le grand retour du réalisme » dans la politique étrangère américaine. Cinq critères
sont retenus par Zaki Laïdi à cet égard, qui permettent à la fois de définir et
de mesurer le réalisme de politique étrangère. 1- La répudiation du messianisme
idéologique dans le discours politique ; 2- la place accordée aux grands
enjeux classiques de sécurité et aux grands Etats, indépendamment des choix politiques
internes de ces derniers ; 3- la capacité à obtenir le soutien d’anciens
adversaires dans le rapport de force global ; 4- la recherche d’accommodements
avec des adversaires actuels, au risque de contrarier des alliés ; 5- le
refus d’un engagement militaire extérieur contraire aux intérêts vitaux. Sur
tous ces points, l'administration Obama a pratiqué à un moment ou à un autre le
réalisme. Le vocabulaire utilisé par son discours tranche aussi nettement avec celui
de l'administration Bush, quoiqu’en disent les quelques observateurs qui
voulaient voir une continuité entre les deux présidents. Là où George W. Bush
insistait sur les notions de « guerre contre la terreur » (citée à 72
reprises dans ses mandats), ou encore de « monde libre », Barack
Obama (qui n’emploie presque jamais ces termes), évoque des dossiers concrets :
TNP, changement climatique, Al Qaida... Il est intéressant de constater que ni
l’un ni l’autre, en revanche, n’évoquent le multilatéralisme ni la
multipolarité. Aux Etats-Unis où l’on aime conclure rapidement à l’existence d’une
doctrine (doctrine Powell, Bush, Obama…), celle de Barack Obama pourrait bien
être le « minilatéralisme » comme choix rationnel face à une multipolarité
complexe. Des grands dossiers affrontés par l'administration entre 2008 et
2012, Z. Laïdi retient, dans la deuxième partie de l’ouvrage, l'Irak, l’Afghanistan,
le printemps arabe et la relation avec l'Europe. Sur tous ces dossiers qui ont
pourtant connu des bonheurs inégaux (et ces derniers chapitres constituent également
de bons mémos sur les régions évoquées), l’Amérique garde sa capacité « d’assurance
et de réassurance » auprès de ses alliés, ce qui prolonge sa puissance, à
l’heure de la montée en puissance de nouveaux défis.
*
Sur la base de sources du plus haut niveau, le Confront and Conceal de David Sanger,
correspondant du New York Times, nous
livre de son côté un récit de plusieurs fronts gérés par Obama :
l’ « Afpak » d’abord, l’Iran ensuite, puis l’usage des drones et
des cyber-attaques, les printemps arabes, la Chine et la Corée du Nord ensuite.
Le volume a naturellement les défauts et les qualités d’un travail de grand
journaliste d’investigation. Informé, précis, il retrace le processus
décisionnel américain à force de témoignages, met en scène les acteurs, les
fait parler, pour livrer au final une trame qui se lit comme un roman
d’espionnage. Dans la tradition des livres de cette catégorie (on pense à Bob
Woodward et son Obama’s Wars), c’est
davantage le lecteur qui se fait son jugement à partir de la narration, que
l’auteur qui apporte sa valeur ajoutée analytique. On y voit un Barack Obama
conscient des mutations du monde, sachant aller à l’encontre des frilosités de
ses conseillers (sur le raid contre Ben Laden par exemple), n’hésitant pas à
ouvrir l’ère de la cyber-guerre, arbitrant entre son entourage le plus prompt à
changer les règles du jeu international (Suzanne Rice, Samantha Power), les
adeptes de la Realpolitik la plus
cynique (Gates, Donilon), et ceux qui fluctuent entre les deux (Hillary
Clinton). On y voit également une administration qui passe plus de temps sur le
dossier iranien que sur l’Afghanistan, ou s’interroge sur les intentions de la
Chine. On y lit des passages captivants, retraçant des situations lointaines
(comme le très bon passage sur l’Egypte, que l’auteur connaît bien). Mais comme
souvent dans cet exercice, le lecteur est tenu de croire le narrateur sur la
foi de ses entrées politiques. Comme souvent encore, l’ouvrage fait partie d’un
ensemble qui, reconstitué, produit un storytelling
consensuel largement diffusé, utile à l’analyste et de surcroît agréable à
lire, mais en partie inspiré par les décideurs eux-mêmes, qui sont à la source
des sources, si l’on peut dire. Comme souvent également, le lecteur européen
restera sceptique face à une focalisation du récit sur le seul processus
décisionnel américain : la France apparaît à peine sur l’épisode libyen,
sinon pour perturber l’alliance, « détournée » à des fins
électoralistes. C’est un peu court sur le rôle de Paris et de Londres dans ce
dossier. Mais comme souvent finalement, on apprend beaucoup en lisant ces
professionnels de l’information qui savent raconter, et le public ne boude pas
son plaisir.
*
L’ouvrage de Justin Vaïsse (Barack Obama et sa politique étrangère – 2008-2012), spécialiste
français reconnu en poste à la Brookings Institution de Washington, est plus analytique et plus
académique, comme en témoigne une bibliographie qui fait place davantage aux
ouvrages qu’aux articles de presse ou aux blogs (comme chez Sanger). Même s’il
reprend des éléments de l’ouvrage américain cité à plusieurs reprises, il va
plus loin sur certains dossiers, notamment sur la gestion par le président
Obama de l’enjeu israélo-palestinien, sur le pivot asiatique, sur la relation
avec les BRICS. Le premier de ces enjeux est clairement vu par l’auteur comme
un échec majeur : sous-estimant l’intransigeance et les dynamiques
politiques israéliennes, le chef de l’exécutif a adopté une stratégie frontale
et inquiété l'Etat hébreu par ses ouvertures au monde musulman. Le deuxième enjeu
– le pivot – est lu comme la ligne directrice du premier mandat : Obama a
fait entrer l’Amérique dans le XXIe siècle, en la sortant de deux
guerres ruineuses (Afghanistan et Irak) pour se consacrer à l’avenir. Le
troisième enjeu – la relations avec les BRICS – fait l’objet d’une des analyses
les plus originales du livre. Conscient
de nouveaux équilibres mus par de nouveaux acteurs, Barack Obama a tendu la
main aux grands émergents non occidentaux. Et il a buté sur un triple obstacle :
bien que démocratiques, certains grands pays du Sud (Inde, Brésil, Indonésie,
Turquie, afrique du Sud…)
demeurent anti-impérialistes et tiers-mondistes, rétifs à une coopération avec
les Etats-Unis sur les grands dossiers ; ils demeurent par ailleurs
« provincialistes », c'est-à-dire préoccupés d’abord par leur
environnement géopolitique immédiat, et peu enclins à s’investir dans des
problématiques globales ; enfin, leur libéralisme s’arrête où commence la
défense de leurs intérêts nationaux. Ils n’ont pas la même foi en les valeurs
démocratiques-libérales que les Etats-Unis. Au final, le travail de Justin
Vaïsse a le mérite de s’engager sur plusieurs propositions de bilan. Un bilan
de la politique étrangère des Etats-Unis entre 2008 et 2012, d’abord. L’auteur y
voit, dans sa conclusion, cinq succès et cinq échecs principaux. Du côté des
succès : 1- la victoire contre Al Qaida (notamment avec la mort de Ben
Laden) ; 2- une relation de
puissance à puissance avec Pékin qui si elle n’est pas parfaite, est
rationnelle et préserve le rang des Etats-Unis comme puissance du pacifique ; 3- une réponse aux printemps arabes qui a finalement
placé les Etats-Unis du bon côté de l’Histoire ; 4- un lien renforcé avec
les alliés traditionnels, en Europe et en Asie ; 5- un pivot bien amorcé.
Du côté des échecs : 1- un sentiment de déception dans le monde, où
l’anti-américanisme a régressé, mais où les frilosités et reculs de
l’administration (sur le climat, sur Guantanamo…) ont refroidi les
attentes ; 2- le dossier israélo-palestinien, plus bloqué que
jamais ; 3- l’échec de la main tendue aux rogue states, de l’Iran à la corée
du nord ; 4- la gestion des
grands problèmes globaux, pour laquelle Obama n’a pas trouvé de coalition
mondiale ; 5- enfin la redéfinition de la puissance américaine, victime en
grande partie de la crise économique. Bilan de la personnalité du président
lui-même, enfin : Justin Vaïsse articule son ouvrage en cinq grands temps,
qui correspondent à autant de facettes du locataire de la Maison Blanche. Obama
fut tour à tour, ou à la fois : celui qui a tourné la page désastreuse des
années Bush, l’homme du pivot, le diplomate réaliste très à l’aise dans la Realpolitik, le libérateur des peuples
arabes lors des printemps, mais aussi « le terrible », qui a lancé la
première cyber-attaque de grande ampleur (contre l’Iran) et multiplié les frappes
de drones. Un portrait complet, forcément contestable sur certains, points,
mais qui donne à réfléchir.
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