Editorial de la Lettre de l'IRSEM n°1-2015
Les travaux de sciences sociales ont largement
analysé le phénomène du terrorisme, divergeant fortement sur la nature de
celui-ci. Trois familles d'approches principales se distinguent, qui voient le
terrorisme soit comme un ennemi géopolitique classique, soit comme le résultat
d'un processus social, soit comme une notion procédant d'une construction
discursive, souvent au risque de l'amalgame. Du contenu de ces analyses dépend
naturellement aussi la question de la lutte contre le terrorisme, et des
priorités qui doivent être les siennes.
La première analyse procède souvent d'une approche
dite réaliste des relations internationales (encore qu’il puisse s’agir également
d’une approche idéologique) où prime le rapport de force sinon interétatique,
du moins entre adversaires institutionnalisés, structurés et dotés d'un centre
de décision poursuivant des objectifs stratégiques identifiables. La grammaire
de la « guerre contre la terreur » résume donc relativement bien
cette posture, qui voit en cette terreur un ennemi dont les centres
névralgiques doivent être détruits, au besoin par l’action militaire, dans un
affrontement territorialisé, à l’issue vitale pour la survie et l’intérêt national,
et répondant à une vision duale et donc classique de la conflictualité. Dans
cette approche, la terreur « nous » vise pour ce que nous sommes et qu’elle veut détruire. Et la
supériorité militaire doit parvenir à la réduire.
L’approche plus « sociologique », qui
préfère évoquer l’entreprise de violence plutôt que le terrorisme, implique que
ce dernier procède d’une rencontre entre une offre (l’entreprise de violence)
et une demande sociale nourrie par la frustration, la misère voire
l’humiliation. Il n’y a pas de terrorisme durable, insiste-t-on alors, sans
terrain propice à l’offre de violence. La réponse militaire risque donc, à
l’inverse du postulat plus classique, de renforcer le terrorisme, a fortiori du fait que selon cette toute
autre vision, ce dernier « nous » vise pour ce que nous faisons, et non pour ce que nous sommes. Le discours sur le terrorisme
comme ennemi de la démocratie ou de la liberté fait place ici à un discours sur
le terrorisme comme riposte asymétrique à des faits ou actions politiques, riposte
qui vise non plus des entités pour elles-mêmes, mais des politiques étrangères,
dont la radicalisation fera le jeu de l’entreprise de violence. Et seul un
traitement social profond des situations de tensions serait en mesure de lutter
durablement contre ce marché et contre le succès de ses entrepreneurs.
Enfin, une approche plus critique – dont les
nuances, là encore, sont multiples et subtiles, mais là n’est pas l’objet de ce
court papier – nous met en garde contre la construction même de l’objet ou du
concept de « terreur », notamment à l’heure des actions en réseau,
des nébuleuses d’acteurs et des causalités complexes. Pour une telle approche,
qui correspond en partie à l’école constructiviste, un discours erroné
(volontairement ou non) sur la nature même de ce type de violence peut avoir
des conséquences néfastes sur sa compréhension, sur la possibilité de la
réduire, objectifs qui peuvent même passer au second plan derrière les intérêts
de ceux-là même qui en mobilise le spectre. La compréhension même du
« terrorisme » serait ici obstruée par sa réification ou par la
manipulation de son invocation. En imaginant une hydre terroriste internationale
globale ou un continuum d’insécurité allant de la petite délinquance
microsociale au grand jeu macro-politique, on passerait alors à côté de
dynamiques réelles, qui nécessiteraient d’autres traitements.
Qu’on le veuille ou non, nos approches du
phénomène terroriste se situent entre (ou sont influencées par) ces trois pôles
grossièrement brossés ici. L’approche réaliste opte pour la détermination politique,
l’approche sociologique pour la compréhension en profondeur et les méthodes
longues, l’approche critique pour une remise en cause des termes même du
discours. Le débat est trop étendu pour être tranché ici, et l’agenda de recherche
reste ouvert pour plusieurs générations de jeunes chercheurs. La tradition française,
qui opte plus volontiers pour une approche sociologique de la violence comme
d’ailleurs de la guerre en général (Gilles Dorronsoro, Amélie Blom…), insistant
sur la mobilisation (Bernard Rougier, Pénélope Larzillière…), est riche en la
matière (voir notre Champs de Mars
n°22-2012, Rationalités des terrorismes,
et l’accent mis par l’IRSEM, dans ses programmes de recherche, sur des notions
telles que la résilience, les dynamiques de recrutement, etc.). Les recherches
menées actuellement, quelles que soit leur préférence théorique, doivent être
encouragée encore.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire