Pour le site Global Brief (Toronto)
Samir Kassir avait identifié, dans ses Considérations, plusieurs facteurs à
ce qu’il appelait le « malheur arabe » face à la modernité (S.
Kassir, Considérations sur le malheur
arabe, Actes Sud, 2004). Plus prosaïquement, les analyses récentes (voir
par exemple The Economist, 14 mai
2016, The War Within) avancent souvent
quatre dynamiques de l’effondrement de l’ordre politique arabe dans les
dernières années : 1- l’échec du modèle autocratique ; 2- le
caractère non soutenable du système d’économie de rente ; 3- les tensions
entre religion et politique, particulièrement dans le monde sunnite ; 4- les
interventions déstabilisatrices des Etats-Unis, suivies sous Barack Obama par
un désengagement tout aussi déstabilisant. En cette année de centenaire des
accord Sykes – Picot, bien d’autres hypothèses encore peuvent être
avancées : un déclin
des politiques étrangères arabes depuis une trentaine d’années face aux
trois puissances régionales non arabes (Turquie, Israël, Iran) ; la non
résolution du conflit israélo-arabe et la perception arabe d’un refus ou
renoncement extérieur à traiter le sujet ; des questions de minorités et
de réfugiés suspendues au point d’en devenir autant de conflits gelés… La liste
est longue.
Il est pourtant un facteur commun à l’ensemble de ces
maux : ils ont été engendrés il y a longtemps (soit du fait des acteurs
régionaux eux-mêmes, soit des acteurs extérieurs), par la recherche de
l’intérêt de possession qui caractérisait l’époque. C’est-à-dire par la
conviction que dans un jeu à somme nulle, tout ce qui était gagné par l’un
(pétrole, territoire, influence…) était perdu pour l’autre. Il fallait donc
posséder, et empêcher l’autre de posséder ou d’accéder à des leviers qui
puissent lui permettre de posséder un jour. Dans cette logique, il était utile
de diviser pour régner, de cloisonner pour prévenir, de monopoliser le pouvoir
pour tenir la société, d’avoir recours à des puissances extérieures pour
consolider ses acquis.
Les temps ne sont plus à l’intérêt de possession mais à
l’intérêt de milieu, c'est-à-dire à la construction d’un environnement stable
et prospère, avec des voisins en mesure de participer à l’élaboration d’un
cadre collectif autorisant le pacte de sécurité, l’échange ou les économies
d’échelle. Dans cette perspective, l’absence de dialogue politique national
dans beaucoup de pays arabes, la stagnation économique et sociale, l’absence
d’inscription dans des logiques d’intégration régionales et globales, constitue
une triple
impasse suicidaire. Dans cette perspective encore, les recettes antérieures
ne garantissent plus la stabilité mais précipitent au contraire la marche à l’explosion.
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