«Au-delà du populisme: la fin du pacte
démocratique?». La chronique de Frédéric Charillon
Frédéric Charillon
26 février 2019 à 12h45
Publié dans L'Opinion
Dans
des Etats qui avaient pourtant connu une ouverture politique dans les années
1990, l’expérience démocratique a reculé. Et cette prolifération de démocraties
sans démocrates touche même les rivages de l’Europe
Si la
démocratie repose sur de nombreux principes (suffrage universel, citoyens
éduqués…), les principaux penseurs politiques s’accordent à considérer que son
moment de vérité réside dans le respect d’un pacte entre protagonistes, dit «
pacte démocratique ». De quoi s’agit-il ? D’un double engagement de la part des
acteurs de la future majorité et de la future opposition. Le vaincu d’une
élection doit accepter sa défaite et, plutôt que de prendre les armes pour contester
le résultat, attendre la prochaine échéance pour repartir pacifiquement à la
conquête du pouvoir, et éventuellement prendre sa revanche. Le vainqueur doit,
quant à lui, s’engager à remettre son mandat en jeu à l’échéance prévue sans
chercher à confisquer définitivement le pouvoir. C’est là qu’aujourd’hui, de
plus en plus, le bât blesse. Et cela a des conséquences politiques
internationales fâcheuses. Des Etats où la démocratie a pu un temps
s’installer, continuent de tenir des élections, mais leur pluralisme n’est plus
qu’une chimère. Dans l’environnement politique
européen, y compris au sein de l’UE, cette mode gagne du terrain. Faut-il
alors imposer des mesures pour contrer cette tendance, et constituer un front
démocratique exigeant sur ce point ?
Elections sans retour
Dans des Etats qui avaient pourtant connu une ouverture politique dans
les années 1990, l’expérience démocratique a reculé pour donner lieu à ce qu’il
est convenu d’appeler des populismes. On oublie trop souvent que l’une des
caractéristiques de ce populisme est de ne pas rendre le pouvoir. Après les
espoirs post-soviétiques d’une libéralisation du jeu politique russe, Vladimir
Poutine (à la tête du pays depuis maintenant presque vingt ans) a rapidement
fait comprendre qu’il était là pour rester, et a innové pour maintenir les
formes institutionnelles : son « alternance » avec Dmitri Medvedev, de 2008 à
2012, qui le vit rester quatre ans Premier ministre avant de reprendre la
présidence, n’a pas suscité beaucoup de réactions au sein d’une communauté
internationale qui a même fait mine de croire à l’autonomie de l’intérimaire.
Depuis sa nomination comme Premier ministre en 2003 puis comme président en
2014, Recep Tayyip Erdoğan n’a jamais perdu une élection. Ou plutôt, il a perdu
celle de juin 2015 qu’il a fait rejouer en novembre pour retrouver la majorité
absolue. Le régime « bolivarien » instauré
par Hugo Chavez au Venezuela en 1999 et prolongé par Nicolas Maduro n’a pas non
plus l’intention de respecter un résultat électoral qui aurait pu/dû être
défavorable. Pas plus que les militaires au pouvoir en Thaïlande,
qui viennent d’obtenir le retrait d’une candidate gênante au poste de Premier
ministre à pourvoir le 24 mars prochain, en la personne de la princesse
Ubolratana Rajakanya, sœur du roi. Combien, d’autres élections, demain, sans
suspense et avec résultat obligatoire ? Le Parti Démocrate Progressiste (DPP)
favorable à une entité nationale taïwanaise plus forte, par exemple, peut-il
encore gagner à Taipei avec la pression de Pékin pour empêcher cette issue ?
Fragilité de l’environnement européen
Cette prolifération de Démocraties sans démocrates, pour
reprendre le titre d’un ouvrage de Ghassan Salamé (1994) à propos du monde
arabe (un Ghassan Salamé devenu depuis émissaire des Nations Unies pour la
Libye, c’est dire s’il doit être optimiste), a touché les rivages de l’Europe.
Dans l’environnement stratégique immédiat, on a vu à quel point il était
difficile d’instaurer une démocratie durable en Ukraine, comme on craint aujourd’hui
une dérive de la Moldavie vers un pouvoir pro-russe qui ne se laissera pas
déloger ensuite. Au sein de l’UE elle-même, l’offensive contre la séparation
des pouvoirs ou contre les corps intermédiaires, de gouvernements comme celui
des ultra-conservateurs polonais ou de Viktor Orban en Hongrie,
est plus qu’inquiétante. En Bulgarie, Slovaquie ou ailleurs, l’influence russe,
combinée à un terrain composé d’acteurs riches, douteux et populistes, fait
craindre également des consultations électorales biaisées, des mainmises
définitives ou l’avènement d’une longue nuit politique programmée. Cela pose
plusieurs problèmes. LIRE LA SUITE DANS L'Opinion