Alice EKMAN, Rouge vif. L’idéal communiste chinois, L’Observatoire,
Paris, 2020
Déjà à l’origine de l’ouvrage La Chine dans le monde (CNRS
Editions, 2018), Alice Ekman se penche cette fois sur la politique intérieure
de l’Empire du Milieu, mais étudie également les conséquences de ces évolutions
chinoises pour le reste du monde. A partir de constats fort bien documentés, de
la part de l’une des toutes meilleures spécialistes européennes du sujet
(actuellement Senior Analyst en charge de l’Asie à l’Institut de sécurité de l'Union européenne), son travail
défriche un terrain considérable. Surtout, il corrige un certain nombre d’idées
reçues, ou largement diffusées dans le débat public. On retiendra, comme fil
conducteur essentiel de ce travail, la persistance de l'idéologie communiste au
sommet du pouvoir à Pékin. Dans les dix constats qui constituent la première
partie du livre, l’omniprésence d’un Parti communiste chinois (PCC) qui n’a
jamais renié ses fondamentaux marxistes, léninistes et maoïstes est frappante. La
supervision des rouages politiques, administratifs, ceux de l'éducation, de la
culture et même de la vie quotidienne personnelle, n'a peut-être jamais été
aussi forte que sous Xi Jinping, accentuée par les possibilités qu’offrent les
nouvelles technologies. Un vocabulaire que l’on entendait plus depuis Mao, dur,
idéologique, intransigeant, refait surface.
Il ressort
naturellement de ce tableau une leçon importante pour le reste du monde. La
Chine n'a nullement le projet de se convertir au capitalisme. Encore moins à la
démocratie libérale, comme l'actualité récente le montre encore. Pékin entend
bien promouvoir son modèle, et estime que les normes occidentales ont échoué. De
nombreux canaux de diplomatie publique ont ainsi été mis en œuvre, depuis les
relations entre partis politiques (notamment avec des pays du Sud, mais pas
uniquement) jusqu'au développement des routes de la soie (la Belt and Road
initiative, qui sert de cadre à de nombreux liens), en passant par la création
de think tanks chargés de rivaliser avec la vision occidentale des relations
internationales. Les concepts de politique étrangère occidentaux qui ont connu
un large succès dans les dernières années (état de droit, droit d'ingérence, responsabilité
de protéger…), sont particulièrement visés par le discours chinois. Pékin cherche
à remplacer ces notions par d'autres plus nouvelles comme celle de « connectivité »,
et dénonce aujourd’hui le culte occidental de la « democrazy ».
L’auteur nous
montre bien comment une compétition se met en place à l’échelle internationale,
entre plusieurs systèmes politique. La Chine se veut maintenant puissance de
proposition pour présenter une alternative à un ordre mondial jugé insatisfaisant.
La bataille fera rage, notamment au Sud (Afrique) mais aussi dans l'environnement
stratégique asiatique (Hong Kong, Taïwan…).
Ecrit et publié
avant la crise du Covid-19, ce livre détecte néanmoins, déjà, une faiblesse chinoise
potentielle dans le rôle omniprésent et rigide du PCC, peut-être incompatible avec
une diplomatie souple, adaptable à une nouvelle scène mondiale traversées de
nombreux soubresauts issus des sociétés civiles. La crise sanitaire actuelle
rebat encore les cartes. La Chine, point de départ de l’épidémie, fait l’objet
d’une défiance internationale et lutte pour retrouver un statut de modèle. Y
parviendra-t-elle ? La tension croît avec les Etats-Unis et même avec leurs
alliés européens, sur un vaste ensemble de sujets (Hong Kong, Huawei, le
Xinjiang, la Mer de Chine du Sud…). Le debt trap chinois en
Afrique est montré du doigt. les crispations
du régime aussi. A l’heure où les observateurs se perdent en conjectures et où beaucoup
d’analyses oscillent entre les deux extrêmes des « panda-kissers » et
du « China bashing », le regard avisé d’Alice Ekman n’en est que plus
précieux.
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