Hommage à Rémy Leveau
(publié au printemps 2005)
Rémy Leveau nous a
quittés brutalement au printemps 2005, et sa disparition laisse un vide
douloureux. Un vide scientifique d’abord. Son riche parcours, son apport à la
sociologie politique du monde arabe (dont le fameux Fellah marocain défenseur du trône), sa connaissance des hommes,
des sociétés et des dynamiques qui lient les deux rives de la Méditerranée,
n’ont nul besoin d’être rappelés ici. ses
proches et ceux qu’il a formés, de Catherine de Wenden à Gilles Kepel et bien
d’autres encore, lui ont rendu hommage, nous remémorant à juste titre ce que
nous lui devions. Un vide, ensuite, que nous pourrions qualifier d’
« entrepreneurial ». Rémy Leveau savait bâtir, consolider, pérenniser
les structures scientifiques nécessaires pour que la France ait son approche,
son expertise de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Conscient que les
talents ne peuvent prospérer sans institutions pour les accueillir, il a
beaucoup construit, du CEDEJ au Caire jusqu’à l’école d’Analyse du Monde Arabe
Contemporain, à l’IEP de Paris. Avec une habileté et un entêtement
administratifs trop rares chez les savants comme chez les politiques, il a
contribué à rapprocher ces deux mondes, qui dans l’hexagone se méfient l’un de
l’autre. Surtout, il laisse un vide humain. Rémy Leveau, s’il plaidait avec
âpreté pour ses idées et pour ses réalisations, n’aimait pas les querelles de
clocher. Il regardait avec amusement, chez les chercheuses et les chercheurs,
s’affronter les narcissismes de la petite différence, pour tenter ensuite de
les réconcilier. Sans se prendre au sérieux, il défendait les siens : pour
eux plutôt que pour lui-même, il savait se faire mandarinal. Autour d’un verre,
à la table de l’un de ces restaurants parisiens qu’il affectionnait et auxquels
il se rendait à vélo, Rémy Leveau était capable, dans la même phrase,
d’anticiper un scénario politique improbable dans tel Etat du Proche-Orient, de
se souvenir d’une source de financement oubliée qui tirerait d’affaire tel
doctorant en difficulté, et de réaffirmer son soutien à tel autre, en qui peu
croyaient encore. Homme de science, d’organisation et de fidélité, il a
beaucoup transmis. Pour les étudiants, restent ses livres et ses articles. A
ses amis, reste le souvenir : certaines salles de Sciences-Po, des rues
près de la gare de Lyon, auront longtemps comme un parfum d’Orient. Et aujourd’hui
l’esprit qui l’animait, à la fois ouvert sur les autres et ferme sur les
principes, reste plus que jamais à défendre. Ceux qu’il a su instruire ne
manqueront pas de le faire, avec la force qu’il leur a apprise.
Frédéric Charillon
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