La relation franco-algérienne serait si “passionnelle” (DUBOIS,
TABET, 2015) qu’elle en deviendrait “infernale” (TUQUOI, 2007). Comment
prétendre encore la dépassionner, oublier le passé pour construire l’avenir –
comme l’ont promis pratiquement tous les présidents français de la Ve
République – lorsqu’on en connaît
la toile de fond historique, ses plaies, ses chiffres ? Car elle participe
de ce phénomène qui reste l’un des plus indéchiffrables dans les relations
internationales : la relation de politique étrangère post-coloniale. Une
relation faite de passion, d’intimité, de nostalgie pour certains, de haine
pour d’autres, sentiments d’autant plus persistants qu’ils sont entretenus par
de nombreux acteurs toujours en vie de part et d’autre de la Méditerranée.
Pour beaucoup d’Algériens, la France reste un référentiel
dont certains segments de la société continuent de suivre l’actualité, des
arcanes politiques jusqu’aux programmes de télévision ; de la politique
des visas jusqu’aux artistes en vogue. La classe politique française, encore
sous François Hollande, compte de nombreux ténors nés en afrique du Nord : c’est un
ministre important qui vient visiter pour la première fois un cimetière
français d’Oran où une partie de sa famille est enterrée ; c’est un haut
fonctionnaire de police qui s’échappe d’une visite officielle pour appeler son
père en France et lui dire, dans l’émotion qu’on imagine : « je suis
devant la maison ».[1]
Que nous apprend cette relation franco-algérienne du point
de vue de l’analyse de la politique étrangère ? Le couple Paris-Alger donne
d’abord à voir un cas de dilemme « rupture impossible, normalisation
improbable », qui n’est pas rare : la densité de l’interaction est si
forte entre les deux pays que l’on ne saurait aller à la rupture, ni même se
laisser aller à l’ignorance mutuelle. Mais le poids du passé est tel que cette
interaction ne peut se banaliser.[2] Par ailleurs,
elle offre un mélange de réalisme (le poids des intérêts et des appareils
d’Etat) et de construction sociale de la réalité (perceptions des rôles et des
identités), à ravir les théoriciens. Elle met également aux prises les acteurs,
qui tentent d’imprimer leur marque sur cette relation, et le système (international
ou régional), qui unit la France et l’Algérie dans un même contexte méditerranéo-sahélien
de sécurité. La spécificité franco-algérienne réside dans le cumul de ces
incertitudes, qui rend toute anticipation prospective pour le moins difficile.
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