Ignace Dalle, La Ve République et le monde arabe. Le désenchantement,
Fayard, Paris, 2014
En plus de 500 pages, cet ouvrage nous livre un panorama presque
complet des relations de la France avec le monde arabe depuis le général de
Gaulle. Fantasmée par l’orientalisme, souvent réduite au vocable réducteur de « politique
arabe de la France » (ce qui constitue un critère de cohérence pour les
uns, une infamie presque équivalente à celle de la « Françafrique »
pour d’autres, cette relation est en réalité fractionnée dans le temps et l’espace.
D’abord parce qu’il n’y a pas « un » monde arabe, ensuite parce que
les dirigeants, les enjeux, les options de politique étrangère changent de part
et d’autre de la Méditerranée.
beaucoup de
continuité, tout de même, selon l’auteur, au fil des présidents successifs :
De Gaulle « l’architecte », Pompidou « le continuateur »,
Giscard et Mitterrand rattrapés surtout par la question palestinienne, Chirac
le « gaulliste wilsonien », et Sarkozy « l’amateur impatient ».
La première partie de l’ouvrage suit le fil des perceptions, des styles et des
choix de ces hommes-là, dans leur approche globale de la région ANMO (afrique du Nord Moyen-Orient), sur fond
d’impuissance européenne. Sans surprise, plusieurs phases émergent : la
reconstruction de la relation après la guerre d’Algérie, des années 1970-80
marquées par la question palestinienne et le pétrole, et peu à peu, l’éclatement
du monde arabe au fil des guerres américaines (1991, 2003), qui s’achève sur
les soulèvements de 2011. Tous les présidents français n’ont pas eu initialement
de politique, ni de vision, ni même d’intérêt personnel pour cette zone. Tous
ont été rattrapés par elle.
La seconde partie de l’ouvrage revient sur quelques relations
bilatérales choisies : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Liban, la
Palestine. L’Egypte et le Golfe y auraient eu leur place (l'Irak est abondamment
traité en première partie, et la Syrie, au prisme du Liban). On redécouvre des
épisodes parfois perdus de vue sinon oubliés (Bizerte 1961, le prisme pro-israélien
des premiers mois de la présidence mitterrand,
les recommandations chiraquiennes aux Libanais en 1996, d’attendre un règlement
régional global pour se libérer de l’occupation syrienne…). Et l’ouvrage se
termine sur une réflexion à propos de « la France et ses arabes », écrite avant les traumatismes
de 2015-2016 (la rédaction de l’ouvrage s’est achevée à l’été 2014, en pleine
opération israélienne sur Gaza), ce qui ne permet pas d’inclure les affres du
rapport à l’islam dans cette nouvelle période qui s’ouvre.
Principalement narratif, ce travail n’est pas exempt d’analyse
(ce qu’on ne saurait lui reprocher), ni de jugements (par définition, parfois discutables).
Les retours historiques sont bienvenus, mais des thèmes manquent (la relation
avec la Libye et les opérations de 2011, l’Egypte et bien d’autres,
mériteraient des développements plus longs). Les coups de projecteurs sur l’actualité
récente ne sont pas tendres pour les deux derniers présidents, Sarkozy et
Hollande. Nicolas Sarkozy, surtout, dont l’action est qualifiée d’amateurisme
est moins critiqué pour les revirements néoconservateurs dont il fut parfois
accusé (accusation moins poussée ici) que pour son manque de vision.
Cette fresque récente expose les turpitudes, souligne les
continuités, mais surtout rappelle le caractère essentiel qu’il y a à
comprendre cette relation, au-delà du seul Moyen-Orient (le Maghreb est tout
aussi central pour la France).
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