Pendant les deux derniers mandats présidentiels français (Nicolas
Sarkozy 2007-2012, et François Hollande 2012-2017), la région afrique du Nord Moyen-Orient (ANMO) a
définitivement changé de physionomie. Pris de court, comme les autres
puissances, par les événements qui s’y sont déroulés, Paris a tenté d’adapter
sa posture dans cette zone. Les défis à venir et bombes politiques à retardement
autour de la Méditerranée sont aujourd’hui plus nombreux que jamais, tandis
qu’aucun des problèmes en suspens depuis plusieurs décennies (comme la question
israélo-palestinienne) n’a été réglé. Au contact direct de cette région du
monde dont elle avait cultivé une bonne connaissance, la France ne peut faire
l’économie d’une réflexion courageuse sur ce qui constitue son environnement
stratégique immédiat.
Un nouvel environnement stratégique : événements politiques et tendances de fond
Déjà déstabilisé par les deux guerres américaines en
Afghanistan et en Irak qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, le sud
et est méditerranéen a continué par la suite d’encaisser plusieurs chocs
violents. Les années 2006 ont vu des mouvements religieux armés concurrencer
des autorités politiques arabes affaiblies et délégitimées : la victoire
du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, l’affrontement entre l’armée
israélienne et le Hezbollah au Liban la même année, ont fait entrer la région
dans une nouvelle ère de surenchère, où il devenait difficile pour un discours
politique arabe modéré de trouver encore sa place. Dans le même temps,
l’intransigeance d’un Etat hébreu dirigé par des coalitions de plus en plus à
droite (Ehud Olmert de 2006 à 2009, Benyamin Netanyahu depuis) a contribué à
alimenter la tension, avec notamment plusieurs crises meurtrières à Gaza
(opération Plomb Durci en 2008-2009, été 2014…), en plus des affrontements
libanais de 2006 (plus de 1.000 morts, 4.000 blessés, un million de déplacés
libanais). Le raidissement turc au fil de la consolidation du pouvoir de
l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan, le retour de l’Iran dans le jeu
international après l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, rendu ambigu par
la rhétorique toujours anti-occidentale du guide suprême Ali Khamenei, ont
également brouillé les lignes des partenariats ou rivalités antérieurs.
Ce sont naturellement les soulèvements arabes de 2011, et la
profonde déstabilisation qu’ils ont engendrée, qui constituent la rupture
stratégique la plus commentée de la période. La chute des régimes Ben Ali en
Tunisie et Moubarak en Egypte après des soulèvements populaires, celle de
Mouammar Kadhafi en Libye après l'intervention militaire occidentale, le
rétablissement brutal de l’ordre à Bahreïn par l'intervention militaire de l’Arabie
Saoudite et de ses alliés du Golfe, enfin la guerre civile syrienne désormais
internationalisée, ont transformé une région autrefois synonyme d’immobilisme,
en chaos que quelques initiatives récentes, comme la constitution d’un axe
militaire sunnite égypto-saoudien, ne parviennent pas à canaliser. Initialement
salués comme éclairés, démocratiques et libéraux, les « Printemps »
arabes ont relancé la question de l’islamisme politique (avec la victoire
électorale éphémère du Frère Musulman Mohamed Morsi en Egypte en 2012, le
retour d’En Nahda en Tunisie), celle du terrorisme avec des Etats effondrés devenus
sanctuaires de mouvements violents (Al Qaida puis Daech) de la Mésopotamie au
Sahel, et celle de l’affrontement entre sunnisme et chi’isme, alimenté par une rivalité
Téhéran – Riyad active sur les terrains libanais, irakien, syrien, bahreïni ou
yéménite. Les hésitations de l'administration Obama face à ces différents
événements ainsi que le refroidissement de sa relation avec ses alliés
régionaux traditionnels (Ankara, Riyad, tel
Aviv), l’inexistence politique d’une Europe aujourd’hui en crise, le retour en
force de la Russie avec son intervention militaire en Syrie en 2015, achèvent
de renverser l’ordre qui prévalait depuis la fin de la guerre froide :
celui d’une zone aux pouvoirs politiques immuables composant avec la Pax
Americana.
Ces séismes politiques forts et immédiatement visibles ne
doivent pas faire oublier les transitions plus subtiles, sociologiques,
économiques ou culturelles, qui travaillent la région ANMO. Si l’on a eu tort
de voir dans la place tahrir du
Caire, en 2011, l’expression de la société égyptienne toute entière, il faut
admettre que les soulèvements arabes ont montré la vitalité et les aspirations
d’une nouvelle dynamique sociétale, autrefois réduite avec dédain à une « rue
arabe » que l’on croyait incapable de revendication structurée. Le rôle
des femmes dans la prise de parole et le débat d’idée (accéléré par les
nouveaux médias et les réseaux sociaux, en plus des vecteurs politiques,
littéraires, artistiques, etc.), l’émergence d’une jeunesse à la fois entrée
pleinement dans la globalisation et soucieuse de ne pas y disparaître
identitairement,[1] l’affirmation d’une classe
moyenne à la fois énergique et frustrée par les impasses économiques et
politiques croissantes, sont autant de nouveaux paramètres à intégrer dans
l’analyse régionale, arabe comme non arabe.
Les réponses françaises sur la période 2007-2017
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[1] L.
Bonnefoy, M. Catusse (dirs.), Jeunesses
arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, La Découverte,
Paris, 2013.
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