lundi 14 novembre 2016

La France en Afrique du Nord Moyen-Orient : l’heure des choix ?

http://www.geostrategique.com/img/p/685-808-large.jpgArticle publié dans Diplomatie, n°83



Pendant les deux derniers mandats présidentiels français (Nicolas Sarkozy 2007-2012, et François Hollande 2012-2017), la région afrique du Nord Moyen-Orient (ANMO) a définitivement changé de physionomie. Pris de court, comme les autres puissances, par les événements qui s’y sont déroulés, Paris a tenté d’adapter sa posture dans cette zone. Les défis à venir et bombes politiques à retardement autour de la Méditerranée sont aujourd’hui plus nombreux que jamais, tandis qu’aucun des problèmes en suspens depuis plusieurs décennies (comme la question israélo-palestinienne) n’a été réglé. Au contact direct de cette région du monde dont elle avait cultivé une bonne connaissance, la France ne peut faire l’économie d’une réflexion courageuse sur ce qui constitue son environnement stratégique immédiat.

Un nouvel environnement stratégique : événements politiques et tendances de fond


Déjà déstabilisé par les deux guerres américaines en Afghanistan et en Irak qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, le sud et est méditerranéen a continué par la suite d’encaisser plusieurs chocs violents. Les années 2006 ont vu des mouvements religieux armés concurrencer des autorités politiques arabes affaiblies et délégitimées : la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, l’affrontement entre l’armée israélienne et le Hezbollah au Liban la même année, ont fait entrer la région dans une nouvelle ère de surenchère, où il devenait difficile pour un discours politique arabe modéré de trouver encore sa place. Dans le même temps, l’intransigeance d’un Etat hébreu dirigé par des coalitions de plus en plus à droite (Ehud Olmert de 2006 à 2009, Benyamin Netanyahu depuis) a contribué à alimenter la tension, avec notamment plusieurs crises meurtrières à Gaza (opération Plomb Durci en 2008-2009, été 2014…), en plus des affrontements libanais de 2006 (plus de 1.000 morts, 4.000 blessés, un million de déplacés libanais). Le raidissement turc au fil de la consolidation du pouvoir de l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan, le retour de l’Iran dans le jeu international après l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, rendu ambigu par la rhétorique toujours anti-occidentale du guide suprême Ali Khamenei, ont également brouillé les lignes des partenariats ou rivalités antérieurs.

Ce sont naturellement les soulèvements arabes de 2011, et la profonde déstabilisation qu’ils ont engendrée, qui constituent la rupture stratégique la plus commentée de la période. La chute des régimes Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte après des soulèvements populaires, celle de Mouammar Kadhafi en Libye après l'intervention militaire occidentale, le rétablissement brutal de l’ordre à Bahreïn par l'intervention militaire de l’Arabie Saoudite et de ses alliés du Golfe, enfin la guerre civile syrienne désormais internationalisée, ont transformé une région autrefois synonyme d’immobilisme, en chaos que quelques initiatives récentes, comme la constitution d’un axe militaire sunnite égypto-saoudien, ne parviennent pas à canaliser. Initialement salués comme éclairés, démocratiques et libéraux, les « Printemps » arabes ont relancé la question de l’islamisme politique (avec la victoire électorale éphémère du Frère Musulman Mohamed Morsi en Egypte en 2012, le retour d’En Nahda en Tunisie), celle du terrorisme avec des Etats effondrés devenus sanctuaires de mouvements violents (Al Qaida puis Daech) de la Mésopotamie au Sahel, et celle de l’affrontement entre sunnisme et chi’isme, alimenté par une rivalité Téhéran – Riyad active sur les terrains libanais, irakien, syrien, bahreïni ou yéménite. Les hésitations de l'administration Obama face à ces différents événements ainsi que le refroidissement de sa relation avec ses alliés régionaux traditionnels (Ankara, Riyad, tel Aviv), l’inexistence politique d’une Europe aujourd’hui en crise, le retour en force de la Russie avec son intervention militaire en Syrie en 2015, achèvent de renverser l’ordre qui prévalait depuis la fin de la guerre froide : celui d’une zone aux pouvoirs politiques immuables composant avec la Pax Americana.

Ces séismes politiques forts et immédiatement visibles ne doivent pas faire oublier les transitions plus subtiles, sociologiques, économiques ou culturelles, qui travaillent la région ANMO. Si l’on a eu tort de voir dans la place tahrir du Caire, en 2011, l’expression de la société égyptienne toute entière, il faut admettre que les soulèvements arabes ont montré la vitalité et les aspirations d’une nouvelle dynamique sociétale, autrefois réduite avec dédain à une « rue arabe » que l’on croyait incapable de revendication structurée. Le rôle des femmes dans la prise de parole et le débat d’idée (accéléré par les nouveaux médias et les réseaux sociaux, en plus des vecteurs politiques, littéraires, artistiques, etc.), l’émergence d’une jeunesse à la fois entrée pleinement dans la globalisation et soucieuse de ne pas y disparaître identitairement,[1] l’affirmation d’une classe moyenne à la fois énergique et frustrée par les impasses économiques et politiques croissantes, sont autant de nouveaux paramètres à intégrer dans l’analyse régionale, arabe comme non arabe.


Les réponses françaises sur la période 2007-2017

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[1] L. Bonnefoy, M. Catusse (dirs.), Jeunesses arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, La Découverte, Paris, 2013.

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