Entretien pour LeMonde.fr
Lors
du premier débat présidentiel, Jean-Luc Mélanchon a évoqué l'idée d'une
conférence sur la sécurité en Europe en évoquant la question des frontières, en
prenant exemple sur l'annexion de la Crimée par la Russie. S'achemine-t-on vers
une acceptation du fait accompli russe ?
Cette idée émise rapidement, sans beaucoup
de détails et tard dans le débat, a de quoi surprendre. Elle rappelle une
sensibilité très datée : il s’agissait de l’époque où l’ex-URSS, dans les
années 1980, promouvait la thématique d’une « maison commune européenne »,
et cherchait à découpler l'Europe occidentale des Etats-Unis, en misant sur le
relai de mouvements écologistes et pacifistes notamment. Ensuite, cette
proposition, présentée en creux comme ce qui serait une sorte d’initiative
française dont on devine qu’elle trouverait un écho favorable en Russie, vient
après plusieurs réquisitoires du candidat contre l'Union européenne : or
on imagine mal une telle initiative sans concertation préalable entre
Européens. Ce serait maladroit diplomatiquement et grave pour l’esprit de l'Union,
qui reste notre principal cercle d’appartenance. Enfin, on a constaté que cette
proposition a été immédiatement soutenue par François Fillon. Si un tropisme
pro-russe déjà largement commenté rassemble les deux hommes, la question de la
concertation entre européens aurait dû être posée, au
moins par le deuxième candidat.
2.
La paix passe-t-elle par une redéfinition des frontières ?
Cela dépend où, et comment. En Europe,
la remise en cause des frontières est toujours un sujet délicat. Ces frontières
ont trop souvent été modifiées par la force dans le passé, à l’inverse les
grandes initiatives de paix ou de détente, un peu plus tard, consacraient l'inviolabilité
des frontières nées de la Seconde Guerre mondiale (c’était le cas des accord issus
de la conférence d’Helsinki en 1975), enfin le retour au révisionnisme et à la
remise en cause des frontières, depuis 2008 (Géorgie) et 2014 (crimée, Ukraine), marque le retour des tensions et du tragique sur le
continent européen. Estimer que la paix passe par la redéfinition des
frontières, dans ce contexte, est donc surprenant.
3.
Quels sont les litiges territoriaux à l'ordre du jour des Européens ? Des
litiges interétatiques ou infraétatiques ? Et sont-ils de nature à bouleverser
la stabilité européenne ?
Dans les années 1994-95, un Pacte de
stabilité, promu par le Conseil de l'Europe à l’initiative de la France, visait
à consolider les relations de voisinage, les problèmes de frontières et de
minorités, en Europe centrale et orientale. Cette initiative avait été
considérée comme un succès. Elle avait permis de dresser une liste préventive
des points de tensions, et de les déminer par des accords souvent bilatéraux.
Mais justement, cela a déjà été fait. Y revenir aujourd’hui, dans un contexte
de montée des nationalismes et de peur, et inclure la Russie dans ce processus,
pourrait rouvrir des portes dangereuses, remettre en question ce qui a été acté
il y a plus de vingt ans, et transformer des tensions encore gérables en crises
et revendications incontrôlables. On sait que la Russie souhaite réviser un
certain nombre de processus engagés au lendemain de la chute de l’URSS, qu’elle
estime préjudiciables à ses intérêts, car imposés par l’Occident dans un moment
de faiblesse russe. C’est compréhensible, mais ce n’est pas une raison pour que
l’on aille à ce point au-devant de ce souhait.
4.
Pourquoi est-il dangereux de redessiner les frontières alors que le droit
à l'autodétermination est un droit international ?
La question du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes a été évoquée par François Fillon dans le débat. Dire
qu’il est difficile d’éviter ce débat, quand on est une démocratie libérale,
est juste. Vouloir le relancer au moment le plus difficile pour l'Europe, et sans
doute le plus propice pour son voisin russe, est néanmoins étonnant.
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