Evgueni Primakov, Au cœur du pouvoir : Mémoires politiques, Editions de Syrtes, 2002 (version en anglais 2001)
Evgueni Primakov fut l’un des acteurs soviétiques puis
russes les plus influents de la fin de la guerre froide et de la période qui
suivit. Orientaliste distingué à la tête de l'Institut d'économie mondiale et
des relations internationales de l'Académie des sciences, journaliste, c’est
sous Gorbatchev qu’il devient en 1989 Président du Soviet de l'Union, puis membre
du Conseil présidentiel (1990-91), où il suit la guerre
du Golfe. Nommé ensuite sous Boris Eltsine Directeur du Service des renseignements
extérieurs de Russie (SVR, 1991-96), ministre des Affaires Etrangères
(1996-98), et enfin Premier ministre – ou « président du gouvernement »
(1998-99), il sera, après son éviction candidat aux législatives puis Président
de la Chambre de commerce et d'industrie (2001-2011). Il disparut en 2015.
L’homme n’est pas un repenti. Il défend son système, réfute
les accusations nombreuses portées à l’encontre de l’URSS (par exemple celle d’avoir
incité l’Egypte à attaquer Israël à plusieurs reprises), et a même témoigné en
faveur de Slobodan Milosevic à La Haye. Ses mémoires retracent, de son point de
vue précieux, des épisodes clefs : les soubresauts de la fin de l’URSS et
des débuts de la Russie (jusqu’au départ d’Eltsine et à l’arrivée de Poutine, auquel il se
rallie finalement), la guerre du Golfe (1990-91), les paradoxes de la perestroïka
de Gorbatchev et ses erreurs, son action à la tête des renseignements extérieurs,
puis à la tête de la diplomatie russe, notamment sur les dossiers du Kosovo, du
processus de paix au Proche-Orient. On y croise les leaders russes bien sûr
mais aussi les présidents et secrétaires d'Etat américains, Saddam Hussein,
Arafat, Hafez al-Assad, Milosevic, Castro, des dirigeants européens, surtout
Chirac et Védrine, qu’il apprécie tous deux visiblement. Il plaide naturellement
pour la sincérité russe, et contre les erreurs occidentales, notamment dans les
guerres du Golfe de 1991 et du Kosovo en 1999, sans parler bien sûr de l'élargissement
de l’OTAN, dont les américains
avaient promis sous Bush senior qu’il n’aurait pas lieu. Opposé à l'intervention
militaire russe en Tchétchénie, il n’épargne pas pour autant les boïeviki (combattants)
tchétchènes « sanguinaires ».
Avec humour et élégance, il trace le panorama de près d’un
demi-siècle russe et international, souvent à partir de sa spécialité : le
Moyen-Orient. En guerre avec « la famille », ou l’entourage de
Eltsine qui finit par l’écarter, il dénonce la corruption qui s’est emparée de
la russie dans la décennie 1990,
sans glorifier pour autant Gorbatchev. Peu tendre avec
la politique américaine, il reste objectif et brosse le tableau de relations
de confiance, et même amicales, avec de nombreux américains.
Plus qu’un militant, c’est en membre éminent de l’élite diplomatique internationale
qu’il témoigne dans son ouvrage, avec humanité souvent, mais sans regrets.