Publié dans : L'Opinion
L’air du large
«Rétrospective 2019: étranges défaites avant travaux?» La chronique de Frédéric Charillon
Frédéric Charillon
25 décembre 2019 à 11h00« Si les démocrates ont mal géré les derniers mois, semblant sur la défensive ou même sur le repli, si les “hommes forts” en ont profité pour diffuser largement une image flatteuse d’eux-mêmes comme véritables et nouveaux maîtres du monde, les jeux ne sont pas faits »
En cette année 2019, la démocratie a globalement reculé dans son exercice du pouvoir, tandis que les régimes autoritaires avançaient de moins en moins masqués, ne cachant plus leur ambition de remodeler les règles du jeu international pour y imposer un ordre souverainiste et illibéral. Dans la rue toutefois, la résistance s’organise. Dans l’attente d’un soutien européen qui ne vient toujours pas, dans l’espoir de recevoir l’appui d’une Amérique devenue bien incohérente, la foule, surtout au Sud, s’oppose seule, bien seule, aux despotes, à leur arbitraire, à leurs caprices, à leur volonté de toute puissance. Si les démocrates ont mal géré les derniers mois, semblant sur la défensive ou même sur le repli, si les « hommes forts » en ont profité pour diffuser largement une image flatteuse d’eux-mêmes comme véritables et nouveaux maîtres du monde, les jeux ne sont pas faits.
Démocraties en miettes
L’Amérique déchirée par les rodomontades du président le plus clivant de la période contemporaine, qui se fracture sur plusieurs fronts (riches-pauvres, démocrates-républicains, millennials-baby-boomers…), perd pied en politique étrangère. Et quand les Etats-Unis vont mal, le monde occidental ne va pas bien non plus. Donald Trump est sous le coup d’une procédure de destitution qui déstabilise l’édifice. Ses attaques contre la presse et l’opposition (notamment des opposantes priées de « retourner d’où elles viennent ») minent le pays. A l’extérieur, ses coups de menton n’ont rien donné : on attend toujours les résultats du dialogue avec la Corée mais l’Iran s’enferme à nouveau, la guerre commerciale avec la Chine nuit à la confiance des marchés, les alliés doutent, le fiasco syrien reste dans les esprits, ses affinités avec les leaders les plus brutaux inquiètent et son retrait de multiples cadres multilatéraux (accords de paix, traités interrégionaux, climat…) laisse un vide dangereux.
L’allié traditionnel britannique, empêtré dans le Brexit jusqu’en ce mois de décembre, n’avait pas la tête à reprendre le flambeau, ce dont il n’a d’ailleurs pas les moyens. l’Allemagne reste sur sa ligne prudente et sa chancelière est occupée à tenir sa coalition pour arriver, peut-être, jusqu’au bout de sa fin de règne annoncée. La France d’Emmanuel Macron tente, comme souvent sous la Ve République, de profiter des désordres américains pour donner de la voix, mais le discours ne suffit pas, et de Gilets jaunes en grèves multiples, les hivers sont décidément difficiles. Ailleurs dans l’Occident démocratique on est soit trop petit pour peser, soit tenté par les sirènes illibérales. Ces dernières ne chantent pas qu’à l’Est : sur les réseaux sociaux français, des universitaires vantent les résultats économiques de Trump ou de Poutine. On lit des comparaisons entre les torts du système chinois et ceux du système français (comme, jadis, Ségolène Royale trouvait la justice chinoise efficace).
Il est confondant de voir, dans les grands rendez-vous internationaux sur la sécurité, à quel point l’efficacité a changé de camp
Les populistes osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît
Le club autoritaire populiste, dans ce contexte, croit son heure venue. Moscou développe sans complexe sa critique d’une démocratie libérale « dépassée » et dresse le bilan pitoyable de trois décennies de domination américaine. Avec une efficacité incontestable, la Chine reprend la rhétorique de la « democrazy », dénonçant le culte démocrate libéral auprès de pays du Sud séduits par le discours alternatif de Pékin sur la « connectivité » (c’est-à-dire la promotion des nouvelles routes de la soie chinoises), et promeut ses propres partenariats, ses banques d’investissements, sa nouvelle « bonne » gouvernance. Il est confondant de voir, dans les grands rendez-vous internationaux sur la sécurité (notamment organisés par les think tanks), à quel point l’efficacité a changé de camp : le discours russe ou chinois, autrefois trop rigide, gauche et mal à l’aise dans ce type d’enceinte, fait mouche désormais. Tandis que les PowerPoint américains apparaissent loin des réalités, trop vides et trop attendus pour séduire au-delà d’un public convenu, plus soucieux du politiquement correct que du stratégiquement efficace. Sur cette toile de fond, il est plus facile à Bolsonaro de dire à un journaliste qu’il a « une tête d’homosexuel », ou à Erdogan, de menacer l’Europe.
Si l’on fait le bilan de l’année, les démocrates ont donc reculé sur beaucoup de fronts, comme dans une défaite intellectuelle que rien ne laissait prévoir voici une décennie. Distancés sur le terrain des idées, et même dans la maîtrise technique d’instruments qu’ils avaient pourtant créés (les réseaux sociaux, les rendez-vous internationaux de type « track 2 »…), ils finissent par subir des revers graves sur le terrain géopolitique le plus concret : Ukraine, Syrie, Afghanistan, mer de Chine du Sud…
Si l’on fait le bilan de l’année, les démocrates ont reculé sur beaucoup de fronts, comme dans une défaite intellectuelle que rien ne laissait prévoir voici une décennie ; distancés sur le terrain des idées et dans la maîtrise technique d’instruments qu’ils avaient pourtant créés
Résistances populaires, résistance de la démocratie ?
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