La réélection d’Obama : quelles perspectives stratégiques pour la France ?
Trois rappels
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La France est le
pays que le président Obama a le plus visité durant son premier mandat (quatre
fois, contre trois pour l’Afghanistan, le Mexique et la Corée du Sud, et deux
pour le Royaume-Uni et l'Allemagne entre autres).
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Le calendrier fait que les deux présidents français et américain sont désormais appelés à
travailler ensemble jusqu’à la fin de leurs mandats respectifs, en janvier
et juin 2017 (à la différence qu’il s’agira nécessairement du dernier mandat
pour Barack Obama). Ils ont donc du temps devant eux pour établir une relation
forte… mais sont également condamnés à se supporter quoi qu’il arrive.
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A la fin de son premier mandat, le président américain
avait insisté sur l’importance
stratégique de l’Asie (le fameux pivot).
Le président français insiste quant à lui sur la nécessité de relancer l'Europe politique, dont chacun admet dans le
même temps qu’il s’agit d’une tâche difficile. La période qui s’ouvre devrait donc
être marquée par la question de savoir comment
combiner ces deux paramètres : l'Europe sera-t-elle en mesure, plus
globalement, de prendre part aux dynamiques stratégiques nouvelles et parfois
lointaines pour elle, qui préoccupent entre autres son allié américain ?
plusieurs tendances décelables dans le premier
mandat de Barack Obama peuvent être extrapolées :
1- Une relativisation assumée de la valeur stratégique de l’allié européen
En qualité, la relation bilatérale franco-américaine n’est
pas en cause, mais en intensité, l’intérêt américain pour l'Europe s’estompe. Les
Etats-Unis sont en quête d’alliés forts et engagés à l’heure où les européens montrent peu d’appétence pour
un rôle international, ou bien disposent de peu de moyens pour le faire. Plus
explicitement que ses prédécesseurs, Barack Obama admet que l’essentiel des
défis stratégiques n’est plus en Europe, et que la relation privilégiée à
l’allié européen n’est plus un tabou. alors
que les Républicains lui reprochaient cette attitude à l’égard des alliés
traditionnels, sa réélection le conforte dans ce sens. La France pourrait
souffrir de ce contexte si elle le comprend mal (voir conclusion).
2- Une fenêtre d’opportunité pour un nouveau partage des rôles
Deux tendances de
l'administration Obama à l’égard du Sud pourraient, si elles se
poursuivent, offrir des créneaux de complémentarité France - Etats-Unis qui
augmenteraient la valeur stratégique de la France aux yeux de l’allié
américain.
a. La
reconnaissance par Barack Obama d’une
demande de réappropriation du politique par les sociétés du Sud (observable
par exemple dans le soutien américain accordé aux Printemps arabes), est
hautement compatible avec la rhétorique française vis-à-vis de ces mêmes
régions, notamment celles qui se situent dans l'environnement stratégique
français (Méditerranée, Afrique).
b. Les
Etats-Unis émettent le souhait de régler
les tensions régionales dans les zones mentionnées ci-dessus, pour se consacrer
désormais à des enjeux stratégiques prioritaires, situés plus loin de la France
et de l'Europe (comme l’Asie). Cela ouvre la porte à une division des tâches entre l’Amérique et ses alliés européens,
auxquels il pourrait être demandé de prendre davantage en charge la stabilité
de leur environnement stratégique (là où des administrations antérieures s’autoproclamaient
arbitres ou peace broker unique de
ces tensions).
3- Des postures bilatérales américaines qui peuvent favoriser la marge de manœuvre française
Pour le dire
cyniquement, l'administration Obama-I a entretenu avec plusieurs Etats des
types de relations bilatérales dont la
France pourrait tirer partie si celles-ci étaient reconduites. A titre
d’exemples :
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La main tendue
américaine vers le monde musulman est plus facile à gérer par Paris qu’une
rhétorique de choc des civilisations ;
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Le fait que Washington voie en Londres
davantage un partenaire stratégique en déclin militaire, plutôt qu’un relais
politique des intérêts américains dans le jeu européen, change également la
donne ;
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La difficile relation
de l'administration Obama-I à l'administration israélienne du Likoud,
réticente à un rôle des européens
en général et de la France en particulier dans les dossiers du Proche-Orient (notamment
israélo-palestinien), change là encore la donne ;
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l'administration
Obama a initié le reset avec la Russie. Même si l’initiative n’a pas donné les
résultats espérés, l’état d’esprit dont elle témoignait, qui inclut aussi la Russie
comme un élément du complexe de sécurité européen, convient sans doute mieux à
l’approche française qu’une posture belliqueuse.
Conclusion : gare aux illusions stratégiques
Deux erreurs ou
plutôt deux idées fausses, présentes dans le débat public français, devront
être évitées :
1-
Barack Obama est trop souvent considéré comme un président « européen ». Or
il agira bien comme un président américain, dans le sens des intérêts américains. Il ne faudrait pas que ce
point donne lieu à un « expectations
– capabilities gap », ou à une « déception amoureuse » en France.
2-
Son administration éloigne ses priorités stratégiques
de l'Europe, mais pour mieux considérer cette dernière comme un fournisseur potentiel de sécurité :
il est possible de travailler à la rassurer sur ce second aspect du problème,
plutôt que de geindre sur le premier.