Heiko Biehl, Bastian Giegerich, Alexandra Jonas (Eds.), Strategic Cultures in Europe. Security and Defence Policies Across the Continent, Springer, Berlin, 2013, 405 p.
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Vingt-huit contributions sur les cultures
stratégiques qui cohabitent au sein de l'Union Européenne (avec la
Turquie en prime, mais sans la Croatie) : voici un pari audacieux et qui
arrive à point, à l’heure où la France présente son nouveau Livre Blanc
sur la défense et la sécurité nationales. Vingt-huit contributions qui
ensemble forment un précieux manuel, synthétique et exploitable, sur les
approches d’action extérieures - politique étrangère et défense – de
partenaires pourtant bien éloignés les uns des autres en la matière.
On
appréciera tout particulièrement dans ce travail – auquel contribuent,
pour l’article sur la France, Bastien IRONDELLE et Olivier SCHMITT – la
réflexion proposée en introduction sur le concept même de culture
stratégique. Que signifie cette notion exactement, quels en sont les
acteurs ou les animateurs, la culture stratégique est-elle monolithique,
peut-elle évoluer dans le temps ? Autant de questions que ce travail
reprend méthodiquement, organisant chaque chapitre, sur chaque Etat
donc, en quatre points principaux : a) le niveau d’ambition affiché en
matière de politique internationale de sécurité par l'Etat concerné, b)
la marge de manœuvre de l’exécutif dans le processus décisionnel, c)
l’orientation globale de politique étrangère, d) la propension de l'Etat
considéré à utiliser la force militaire.
On
sera séduit également par l’aspect pédagogique de cet ouvrage, qui
récapitule les données et documents principaux contribuant aux
différentes doctrines nationales, et même, pour chaque étude de cas, une
bibliographie sélective fort utile. Avouons-le, si les cas français,
britannique, allemand et quelques autres sont déjà relativement connus
de la communauté stratégique française, il nous restait beaucoup à
apprendre sur Malte, l’Estonie, la Slovaquie ou quelques autres.
C’est
là, peut-être, qu’une limite – il en faut… - peut apparaître : dans
leur souci de rigueur scientifique, louable, par ailleurs, les auteurs
appliquent avec systématisme la même grille d’analyse aux vingt-huit
pays. Peut-on réellement aborder avec les mêmes questionnements la
« culture stratégique » du Luxembourg ou de la Lettonie, et celle de la
France ou de la Grande-Bretagne ? L’un des risques inhérents à cette
démarche est alors celui d’un résultat politiquement correct : il
ressort naturellement des études menées que chacun tient à la PESD, mais
aussi à l’OTAN, tout comme à l’OSCE. Mais on aurait aimé en savoir plus
sur les craintes, les tabous et les blocages.
Il
n’en demeure pas moins que ce travail s’imposait. D’abord par le
récapitulatif inédit qu’il nous offre, ensuite par la vision d’ensemble
qu’il dégage, et qui s’avère au final bien sombre : après avoir lu les
vingt-huit contributions, il ressort qu’à quelques exceptions près, les
membres de l'Union Européenne – Turquie exclue, donc – connaissent une
période budgétaire difficile, mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, un
défaut de volonté politique. Hormis (entre autres) la France et la
Grande-Bretagne, les chiffres alignés sont dérisoires. Les contributions
aux opérations extérieures se comptent parfois en dizaines d’hommes.
Les réticences à une puissance assumée restent immenses, et surtout
majoritaires. La typologie des postures ainsi observables, et ses
conséquences pour une éventuelle Europe puissance, constituent en
conclusion une contribution majeure au débat. A consulter avant qu’il ne
soit trop tard.
F. Charillon
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