mardi 22 novembre 2016

Laure Mandeville, Qui est vraiment Donald Trump ?




Laure Mandeville, Qui est vraiment Donald Trump ?, Equateurs, Paris, 2016

Quelques jours après l’élection présidentielle américaine, il importe de relire le petite ouvrage de Laure Mandeville, journaliste au Figaro et pendant huit années correspondante à Washington, qui nous a offert l’une des meilleures synthèses sur la personnalité complexe du candidat républicain et désormais prochain président américain. Retour sur ses origines familiales, parcours médiatique de ce magnat devenu familier des foyers américains à force de coups de publicité et de télé-réalité, options internationales parfois improvisées mais révélant des tendances profondes ou des opportunités personnelles : c’est un panorama à peu près complet que nous livre ce livre clair et équilibré. De cet effort d’objectivation, qu’il faut saluer tant il est difficile de rester objectif sur Trump, il ressort plusieurs choses. En premier lieu, Trump est le candidat d’une certaine Amérique que l’on peut qualifier de frileuse ou fermée, mais surtout déclassée et inquiète : ce sont les « bastions populaires blancs paupérisés » bien analysés dans le chapitre 4. « Insécurité culturelle », dirait le politiste Laurent Bouvet à propos de la France. Ensuite, « Trump n’est pas Hitler » (chapitre 5). Il est trop opportuniste pour cela, versatile, insuffisamment structuré. Son ego lui importe bien davantage que son programme ou qu’une quelconque révolution. C’est ce qui fit d’abord son succès : aisance décomplexée dans le contact avec le public, sens du (one man) show, de la répartie ou de la formule. C’est ce qui fait également sa limite : après tant d’années à avoir retourné des situations financières, rattrapé des clients, des associés ou des contrats, d’une pirouette, d’un mot juste ou d’un pouvoir de conviction bien réel, « Le Donald » n’a peut-être pas encore entrevu qu’un leadership national et mondial nécessitait davantage, à savoir une stratégie pensée et collective. Le portrait dressé par Laure Mandeville n’est pas rassurant : liens troublants avec des personnages peu recommandables, méthodes douteuses, ego surdimensionné, paranoïa complotiste (ce que la dernière ligne droite de la campagne américaine a permis de vérifier), goût sans limite du coup d’éclat, tentation autoritaire… Enfin, Trump est une figure américaine connue pour ses écarts, et appréciée comme tel dans certains segments de l’Amérique en crise, du fait d’une profonde demande de changement, de renouvellement des têtes. A ce titre, il faut rapprocher son succès de celui de bernie Sanders aux primaires démocrates, mais aussi des percées populistes européennes. Une demande de repères identitaires, de purge du système politique et de politiques non conventionnelles, ont imposé Trump comme candidat au Parti républicain, puis comme président, au mépris des pronostiques. Contrôler la page Trump sera la tâche de l’Amérique toute entière.

lundi 14 novembre 2016

La France en Afrique du Nord Moyen-Orient : l’heure des choix ?

http://www.geostrategique.com/img/p/685-808-large.jpgArticle publié dans Diplomatie, n°83



Pendant les deux derniers mandats présidentiels français (Nicolas Sarkozy 2007-2012, et François Hollande 2012-2017), la région afrique du Nord Moyen-Orient (ANMO) a définitivement changé de physionomie. Pris de court, comme les autres puissances, par les événements qui s’y sont déroulés, Paris a tenté d’adapter sa posture dans cette zone. Les défis à venir et bombes politiques à retardement autour de la Méditerranée sont aujourd’hui plus nombreux que jamais, tandis qu’aucun des problèmes en suspens depuis plusieurs décennies (comme la question israélo-palestinienne) n’a été réglé. Au contact direct de cette région du monde dont elle avait cultivé une bonne connaissance, la France ne peut faire l’économie d’une réflexion courageuse sur ce qui constitue son environnement stratégique immédiat.

Un nouvel environnement stratégique : événements politiques et tendances de fond


Déjà déstabilisé par les deux guerres américaines en Afghanistan et en Irak qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, le sud et est méditerranéen a continué par la suite d’encaisser plusieurs chocs violents. Les années 2006 ont vu des mouvements religieux armés concurrencer des autorités politiques arabes affaiblies et délégitimées : la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, l’affrontement entre l’armée israélienne et le Hezbollah au Liban la même année, ont fait entrer la région dans une nouvelle ère de surenchère, où il devenait difficile pour un discours politique arabe modéré de trouver encore sa place. Dans le même temps, l’intransigeance d’un Etat hébreu dirigé par des coalitions de plus en plus à droite (Ehud Olmert de 2006 à 2009, Benyamin Netanyahu depuis) a contribué à alimenter la tension, avec notamment plusieurs crises meurtrières à Gaza (opération Plomb Durci en 2008-2009, été 2014…), en plus des affrontements libanais de 2006 (plus de 1.000 morts, 4.000 blessés, un million de déplacés libanais). Le raidissement turc au fil de la consolidation du pouvoir de l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan, le retour de l’Iran dans le jeu international après l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, rendu ambigu par la rhétorique toujours anti-occidentale du guide suprême Ali Khamenei, ont également brouillé les lignes des partenariats ou rivalités antérieurs.

Ce sont naturellement les soulèvements arabes de 2011, et la profonde déstabilisation qu’ils ont engendrée, qui constituent la rupture stratégique la plus commentée de la période. La chute des régimes Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte après des soulèvements populaires, celle de Mouammar Kadhafi en Libye après l'intervention militaire occidentale, le rétablissement brutal de l’ordre à Bahreïn par l'intervention militaire de l’Arabie Saoudite et de ses alliés du Golfe, enfin la guerre civile syrienne désormais internationalisée, ont transformé une région autrefois synonyme d’immobilisme, en chaos que quelques initiatives récentes, comme la constitution d’un axe militaire sunnite égypto-saoudien, ne parviennent pas à canaliser. Initialement salués comme éclairés, démocratiques et libéraux, les « Printemps » arabes ont relancé la question de l’islamisme politique (avec la victoire électorale éphémère du Frère Musulman Mohamed Morsi en Egypte en 2012, le retour d’En Nahda en Tunisie), celle du terrorisme avec des Etats effondrés devenus sanctuaires de mouvements violents (Al Qaida puis Daech) de la Mésopotamie au Sahel, et celle de l’affrontement entre sunnisme et chi’isme, alimenté par une rivalité Téhéran – Riyad active sur les terrains libanais, irakien, syrien, bahreïni ou yéménite. Les hésitations de l'administration Obama face à ces différents événements ainsi que le refroidissement de sa relation avec ses alliés régionaux traditionnels (Ankara, Riyad, tel Aviv), l’inexistence politique d’une Europe aujourd’hui en crise, le retour en force de la Russie avec son intervention militaire en Syrie en 2015, achèvent de renverser l’ordre qui prévalait depuis la fin de la guerre froide : celui d’une zone aux pouvoirs politiques immuables composant avec la Pax Americana.

Ces séismes politiques forts et immédiatement visibles ne doivent pas faire oublier les transitions plus subtiles, sociologiques, économiques ou culturelles, qui travaillent la région ANMO. Si l’on a eu tort de voir dans la place tahrir du Caire, en 2011, l’expression de la société égyptienne toute entière, il faut admettre que les soulèvements arabes ont montré la vitalité et les aspirations d’une nouvelle dynamique sociétale, autrefois réduite avec dédain à une « rue arabe » que l’on croyait incapable de revendication structurée. Le rôle des femmes dans la prise de parole et le débat d’idée (accéléré par les nouveaux médias et les réseaux sociaux, en plus des vecteurs politiques, littéraires, artistiques, etc.), l’émergence d’une jeunesse à la fois entrée pleinement dans la globalisation et soucieuse de ne pas y disparaître identitairement,[1] l’affirmation d’une classe moyenne à la fois énergique et frustrée par les impasses économiques et politiques croissantes, sont autant de nouveaux paramètres à intégrer dans l’analyse régionale, arabe comme non arabe.


Les réponses françaises sur la période 2007-2017

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[1] L. Bonnefoy, M. Catusse (dirs.), Jeunesses arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, La Découverte, Paris, 2013.

jeudi 10 novembre 2016

How the U.S. presidential results are being seen around the globe


Article paru dans The Conversation

Learning to work with Trump, despite everything

Frédéric Charillon, Université Clermont Auvergne, France
Unless the new president makes substantial changes to the positions he’s already taken, three developments are very likely:
  • We are at the dawn of a new wave of anti-Americanism around the world, from which the United States will not be able to recover quickly. The image of the America portrayed in the speeches that Trump has given will not be easy to repair.
  • More than ever, U.S. foreign policy will be a series of extreme shifts and oppositions – other political forces or bureaucracies in the U.S. will no doubt oppose certain positions Trump may take. A measure of paralysis is to be feared.
  • European allies, whatever they may say, will have to learn to work with Trump. He will seek to be charming, and – over time – could attract some to his anti-interventionist rhetoric. However, a number of countries will be constrained by segments of their populations completely opposed to any display of cordiality with Trump, who for them embodies absolute evil. It will still be necessary to deal with him, but one good aspect is that he probably has no ideology, making him more pragmatic.
The real question, however, is what leeway Trump will have in an America beset by doubt, divisions and political paralysis. Does he even want to reconcile with the world the part of the United States that didn’t flinch when he suggested building a wall on the Mexican border or banning all Muslims from entering U.S. territory? If he doesn’t, the relationship between the United States and the international community could enter a particularly difficult phase.

Supporters of Donald Trump react as a state is called in his favor, as students watch the live results of the U.S. presidential election, at the University of Sydney in Australia. Jason Reed/Reuters

mercredi 9 novembre 2016

Et maintenant, quelle Amérique dans le monde ?

Article paru dans The Conversation
 


Ce que beaucoup redoutaient n’a donc pas été évité. Comme les Britanniques avant le Brexit, et même, dans une moindre mesure, les Français avant le référendum de 2005, le « pays profond », comme on dit et qui ne doit pas être péjoratif, n’a pas apprécié les commandements des grands médias sur la conduite à tenir. Au-delà des réflexions à tenir sur le fonctionnement des démocraties occidentales à l’heure des réseaux sociaux et des médias globaux, interrogeons-nous sur les conséquences américaines et internationales de ce qui vient de se produire.
À la mi-juin 2016, nous écrivions :
« Imaginons un instant cet enchaînement, qui n’est plus à exclure : le 23 juin, le Royaume-Uni quitte l’Union européenne ; Donald Trump est élu président des États-Unis en novembre ; en mai suivant, un président français est choisi avec une marge trop étroite face à Marine Le Pen, dans un pays de facto immédiatement clivé et paralysé ; quelques mois plus tard en Allemagne, Angela Merkel paie les séquelles de la crise des réfugiés, ou se retrouve avec une extrême droite puissante. Les trois grands pays de l’Union européenne, quatre des piliers de l’Alliance atlantique, se retrouveraient alors, en même temps et pour plusieurs années, en crise interne et sans boussole. Ailleurs en Europe, le populisme – c’est-à-dire la mobilisation du peuple pour des raisons électoralistes sur la base d’un discours volontairement simplificateur – aura déjà frappé. Après une telle séquence, il est probable qu’il s’étendra encore. Notre rapport au monde ne peut en sortir indemne ».
Plusieurs constats, aujourd’hui, ne laissent pas d’inquiéter.

Les États-Unis : un pays déchiré

La campagne qui s’achève a globalement été jugée navrante, elle a opposé deux candidats considérés par leurs adversaires respectifs comme éminemment repoussoirs. La division et la résignation dominent. Il était à prévoir, depuis longtemps, que celui des deux candidats qui l’emporterait aurait bien du mal, au moins dans un premier temps, à se faire accepter par l’autre Amérique. Aujourd’hui, une Amérique a gagné contre l’autre. Ç’eut été la même chose dans l’autre sens, mais l’Amérique qui a perdu aujourd’hui est la plus productive, jeune et multiculturelle.
Déjà lassés par la professionnalisation à la fois extrême de la politique et de ses pratiques washingtoniennes, les Américains ont polarisé leur vote. Beaucoup d’entre eux ont rejeté le politiquement correct martelé par les grands médias. En soutenant, à plus de 70 % dans certains États, un candidat qui s’en est pris à ce point à plusieurs nationalités ou cultures (pour ne parler que d’affaires internationales), l’Amérique a brisé quelques tabous, dont plusieurs régions du globe se souviendront.
Avec des franges importantes de leur société tentées par l’intransigeance de gauche d’un Bernie Sanders et celle de droite du Tea Party (ou des idées qui lui sont proches), les États-Unis voient progresser la tentation du retrait du monde. Après la war fatigue qui avait saisi le pays à l’issue de la période néoconservatrice de George W. Bush (2001-2009), le risque d’une world fatigue est grand, après l’ouverture au monde de Barack Obama (2009-2017).

L’héritage Obama

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Trump et conséquences


Article paru dans L'Opinion 
 
Le 15 juin 2016, dans les colonnes de l’Opinion, nous écrivions :

« Imaginons un instant cet enchaînement, qui n’est plus à exclure : le 23 juin, le Royaume-Uni quitte l’Union européenne ; Donald Trump est élu président des Etats-Unis en novembre ; en mai suivant, un président français est choisi avec une marge trop étroite face à Marine Le Pen, dans un pays de facto immédiatement clivé et paralysé ; quelques mois plus tard en Allemagne, Angela Merkel paie les séquelles de la crise des réfugiés […] Les trois grands pays de l’Union européenne […] se retrouveraient alors […] en crise interne et sans boussole. […] Notre rapport au monde ne peut en sortir indemne ».

Nous sommes désormais à la moitié de cette série, et le prochain épisode nous concerne directement : il s’agit de l’élection présidentielle française. Tâchons de tirer au moins quelques leçons de ce qui vient de se produire.

Crise de la démocratie libérale 2.0. Comme les Britanniques au printemps, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français en 2005 au moment du référendum sur la Constitution européenne, les électeurs ont voté dans le sens qui leur avait été indiqué par les grands médias comme dangereux, voire interdit. Sans adhésion véritable, mais avec le message clair qu’on ne leur dicterait pas leur vote. Il ne s’agit pas d’une crise de la démocratie tout court (sauf à qualifier de crise de la démocratie tout résultat électoral qui ne nous plaît pas), puisqu’il y a réappropriation de la parole par une majorité jusqu’alors silencieuse. Il s’agit en revanche d’une crise de la démocratie libérale d’une part, accentuée par un biais de représentation introduit par les nouveaux médias, d’autre part.
Le libéralisme dans sa pratique actuelle, dominé par des préoccupations économiques, l’ouverture au monde et l’exigence de pluralisme orientée notamment vers le droit d’expression des minorités, ont fini par exaspérer une majorité, dont les propres préoccupations économiques renvoient à une peur du déclin social, et au sentiment qu’ils sont les premières victimes des recettes ainsi proposées, lesquelles sont perçues comme faites délibérément pour d’autres qu’eux.

Or ce phénomène est en grande partie masqué par des médias modernes (chaînes d’information, grands titres papier, réseaux sociaux…) qui ont tendance à surreprésenter la capitale ou le centre politique du pays, et des franges de la population qui pratiquent intensément ces médias, mais dont la représentativité sociale est toute relative. On découvre ensuite un peu tard que The Economist n’est pas le Royaume-Uni, que le New York Times n’est pas l’Amérique, ce qui n’a rien à voir avec leur extrême qualité, reconnue mondialement. Facebook ou Twitter peuvent bien railler et disqualifier : ailleurs, on se contente de voter. Mieux encore : plus les uns raillent ici, plus les autres voteront là.

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dimanche 6 novembre 2016

Paris – Moscou : reflets d’une fixation




 

Pour le site Global Brief (Toronto)


La Russie, et principalement son leader actuel Vladimir poutine, sont au centre du débat public depuis plusieurs années. La résurgence des ambitions extérieures russes, les guerres poutiniennes en Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie, ont remis Moscou au centre d’un jeu politique international brutal que l’on crut un temps voué à un face à face américano-chinois. En France particulièrement, la question de la relation à entretenir avec l’immense Russie, divise les politiques, les universitaires, les observateurs en général. Il y a là une toile de fond particulièrement française, qui a fait l’objet de plusieurs analyses récentes, mais qui en réalité renvoie à des dilemmes partagés par l'Europe toute entière.
La question russe n’a jamais été simple dans l’hexagone, qui possède plusieurs spécificités à cet égard : l’image d’une cour impériale de Russie que l’on percevait particulièrement cultivée parce que francophone ; un passé d’alliances, d’engouements et de déceptions (comme les fameux « emprunts russes » qui ont suscité la ferveur de la France avant d’être répudiés par la Russie bolchevique en 1918 ; le point commun d’une histoire marquée à jamais par la Révolution (celles de 1789 et de 1917) ; un christianisme orthodoxe souvent loué des milieux français conservateurs ; un scepticisme français à l’égard du monde anglo-saxon et des Etats-Unis, qui a souvent abouti à ménager Moscou comme contrepoids à un monde unipolaire (pour la gauche dure), ou par refus d’une stricte bipolarité (pour les gaullistes) ; un parti communiste français très puissant de la Libération (de par son rôle dans la Résistance) jusqu’aux années 1980 (jusqu’à plus de 25% des votes aux élections d’après-guerre), relayé par un syndicat non moins puissant (la CGT), et des intellectuels longtemps aveuglés par le stalinisme ; sans oublier le goût français pour l’Etat central fort, et les « grands pays » de « grande culture » (la Serbie, la Syrie, respectivement en comparaison de la Bosnie ou du Liban, ont parfois bénéficié de la même indulgence)

Plusieurs ouvrages récents, de journalistes (Nicolas Hénin, La France Russe), ou d’universitaires (Cécile Vaissié, Les réseaux du Kremlin en France ; Olivier Schmitt, Pourquoi Poutine est notre allié ?) ont entrepris de disséquer – et en l’occurrence de rejeter – les raisons de cette influence russe dans le pays. Qu’en ressort-il ? 

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