L.
Boltanksi, Mysteries and Conspiracies,
Polity Press, Cambridge, 2014
Voir les autres notes de lecture dans la Lettre de l'IRSEM n°3-2015
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Désormais traduit en anglais (Énigmes et complots :
Une enquête à propos d'enquêtes, pour sa version française), ce travail du sociologue
Luc Boltanksi, ancien élève de Pierre Bourdieu, s’attaque aux notions de
mystère, de complot, d’énigme, d’enquête, et à travers elles, à celle de réalité, telle qu’elle peut
transparaître des romans fantastiques, policiers ou d’espionnage, et qui est
dans tous les cas construite. Pourquoi cette sociologie du roman de fiction, et
pourquoi en traiter dans la Lettre d’un
institut d’études stratégiques ? L. Boltanksi, en plus de l’approche
critique que l’on connaît, prompte à déceler les conservatismes derrière la
littérature populaire, tire des leçons de cette littérature pour le statut de
l'Etat. Que nous dit, par exemple, la littérature d’espionnage sur notre
Léviathan ? Qu’il est toujours
en état de guerre, toujours menacé, toujours fragile, et que la population n’en
est jamais (ne doit pas en être) consciente. Que l’appareil d'Etat compte lui
aussi ses ennemis intérieurs ou ses traîtres, ses faux-semblants, ses arcanes
cachées. L’analyse sociologique du roman d’espionnage ou de fiction n’est pas
nouvelle (le politiste Erik Neveu en avait fait sa thèse, disséquant notamment avec
bonheur les « sens cachés » des SAS de Gérard de Villiers). Mais un
agenda de recherche s’ouvre à nous, en ces temps où la théorie du complot fait
recette. La littérature de fiction ou de « mystère », pour reprendre
la catégorie anglo-saxonne, entretient-elle cette propension à croire au
complot ? Est-elle plutôt – est-ce d’ailleurs incompatible ? – de
nature à renforcer le consensus libéral (le libéralisme… ou la paranoïa, pour
reprendre l’une des sections de l’ouvrage) ? Quels messages les
personnages campés dans cette littérature véhiculent-ils ? Il faudrait,
par exemple, élargir l’analyse amorcée brillamment ici par Boltanksi, à
l’industrie littéraire américaine actuelle, avec ses auteurs à succès
(Baldacci, Child, Cumming, Silva, Littell, Patterson…), dont les anti-héros
reviennent incompris et psychologiquement blessés d’Afghanistan ou d’Irak pour
retrouver l’exploit malgré eux, en dépit d’autres labyrinthes administratifs (Zero Day, de D. Baldacci).
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